« Une année polaire », le prof brise la glace

« Une année polaire », le prof brise la glace

« Une année polaire », le prof brise la glace

« Une année polaire », le prof brise la glace

Au cinéma le

Pour son premier poste en tant qu'instituteur, Anders décide de faire le grand saut en partant enseigner au Groenland. Dans le petit village de Tiniteqilaaq, le jeune danois découvre une vie plus rude que prévue et un accueil plutôt glacial. Voyage initiatique mêlant documentaire et fiction, Une année polaire interroge sur les finalités de l'enseignement et la survie des traditions, sans occulter les stigmates de la colonisation. Rafraîchissant !

 Jeune danois en quête d’aventure, Anders (Anders Hvidegaard) part s’isoler au Groenland où il aura pour mission d’enseigner le danois aux enfants de Tiniteqilaaq, hameau inuit de 80 habitants. Plein de bonne volonté, le jeune instituteur ne tarde pourtant pas à déchanter. Dans ce village isolé du reste du monde, la vie est bien plus rude qu’il ne l’imaginait et l’accueil des habitants n’est pas vraiment à la hauteur de ses espérances. Pour s’intégrer au sein de la communauté, Anders va devoir se défaire de ses convictions et réellement s’intéresser aux coutumes de ses hôtes.

Une année polaire

Apprentis pas sages

Le Groenland est décidément une source d’inspiration pour les réalisateurs français. Fin 2016, Sébastien Betbeder proposait Le Voyage au Groenland : une sympathique excursion de deux potes sur la banquise [lire notre chronique sur le film]. C’est au tour de Samuel Collardey de s’intéresser à ce pays en allant poser sa caméra à Tiniteqilaaq. Moins peuplé et plus sauvage que celui choisi par Sébastien Betbeder, c’est ce petit village de la côte Est du Groenland qui accueille Anders, instituteur en quête de nouveauté. Si l’intrigue des deux films tourne autour d’étrangers qui viennent s’installer au sein d’une petite communauté, la comparaison entre les deux films s’arrête là. Le ton adopté par le cinéaste et le contexte de l’histoire implique d’autres thématiques ce qui limite les impressions de déjà-vu pour le spectateur qui aurait déjà découvert Le Voyage au Groenland.

Après des repérages dans plusieurs villages inuits, Samuel Collardey a jeté son dévolu sur le hameau de Tiniteqilaaq et ses 80 habitants. Dans une démarche sur le fil entre documentaire et fiction, il s’est basé sur de nombreuses sources pour construire son histoire. Le hasard faisant parfois bien les choses, l’institutrice du village devait bientôt être remplacée par un jeune professeur. C’est là que l’inexpérimenté Anders — en tant que prof et acteur — entre en jeu. Débuté deux mois après que le jeune danois se soit installé à Tiniteqilaaq, le tournage du film oscille en permanence entre réel et petits arrangements fictionnels. Parmi les éléments qui sont cruellement réels pour le jeune professeur qui joue son propre rôle : la dureté de la vie au village et la fronde de ses élèves — et de leurs parents — qui rejettent l’apprentissage du danois. Le jeune prof pourtant arrivé très optimiste se retrouve alors loin de son Danemark natal, cerné par la glace et face à une classe totalement indisciplinée qui ne parle pas sa langue — et vice-versa — et dont il ne connaît rien des us et coutumes. Moins brutale que dans le cas d’autres grandes puissances coloniales, l’influence du Danemark sur le Groenland n’en est pas pour le moins contestée. Lorsqu’il est recruté, Anders est invité par une ancienne professeur ayant exercé au Groenland à ne pas apprendre le langage local. Sa mission : faire apprendre le danois, sans se préoccuper du contexte. Une règle que le jeune instituteur ne tarde pas à transgresser. Il se rend rapidement compte qu’il n’arrivera à rien s’il ne cherche pas à comprendre le fonctionnement du village. Et, au-delà, du rejet des conséquences d’un colonialisme d’un autre âge — les postes importants sont de nos jours toujours occupés par des Danois —, Anders découvre que l’enseignement qu’il vient prodiguer n’est pas forcément la solution miracle pour l’avenir de ces enfants.

Une année polaire

Fuite et traditions

Parmi les élèves les plus difficiles de sa classe, Anders s’intéresse particulièrement au cas du jeune Nasser, 11 ans. Très vite, celui-ci déserte les cours pour apprendre la pêche et la chasse avec son grand-père. Une école buissonnière totalement assumée et encouragée par sa grand-mère qui n’imagine pas son petit-fils quitter le village pour poursuivre des études. Le cas de cet enfant est symptomatique d’un dilemme pour les habitants du village, pris en étau entre ouverture au monde et survie de la culture traditionnelle inuite. Confronté à cette question, Anders, partisan de l’éducation pour tous et le plus longtemps possible, doit reconnaître que la question est plus sensible et compliquée que l’on pourrait penser. Si Nasser part du village et revient après quelques années il aura certes un bagage culturel et éducatif mais il ne saura pas chasser, seule activité dans un village où il n’y a pas d’emploi. Venu enseigner son savoir, Anders se rend peu à peu compte que la situation du village est plus complexe que prévu et qu’il doit s’y adapter. La question de l’éducation des enfants symbolise ce conflit entre ouverture au monde et traditions dans ce hameau où la chasse traditionnelle cohabite avec l’utilisation de smartphones dernier cri.

De façon assez ironique, ce dilemme entre perpétuer la tradition et s’affranchir du passé concerne également Anders. Le spectateur découvre au cours du film que le jeune instituteur n’est pas venu enseigner à Tiniteqilaaq totalement par hasard et uniquement par soif de grand espaces. Confronté à son propre dilemme, le jeune danois fuit à sa manière une décision qu’il ne veut pas prendre. Une situation qui explique qu’il se retrouve finalement auprès de ces inuits, confrontés à un choix difficile entre passé et avenir.

Fiction ancrée dans le réel, Une année polaire capte avec grâce la fragilité d’une communauté en équilibre entre deux mondes à travers le prisme d’une éducation imposée de l’extérieur. Un beau voyage qui rafraichit les idées.

> Une année polaire, réalisé par Samuel Collardey, France, 2017 (1h34)

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