Too Much Pussy, show !

Too Much Pussy, show !

Too Much Pussy, show !

Too Much Pussy, show !

15 juillet 2011

Too Much Pussy, road-movie porno queer, joyeusement féministe et militant. Une tournée organisée tout spécialement pour un tournage. L'objet cinématographique d'Emilie Jouvet, qui a fait l'unanimité dans les festivals LGBT (comprenez Lesbien-ne, Gay, Bissexuel-le et Transsexuel-le) ainsi qu'auprès des cinéphiles du Cannes Independent Film Festival ou du Buenos Aires Indie Film Fest, se confronte depuis plusieurs jours à un public plus éclectique puisqu'il sort en salles, assorti d'une interdiction aux moins de 16 ans. Si les scènes explicites sont effectivement nombreuses, ce documentaire, parfois fictionnel, donne la part belle à la réflexion, au débat et aux émotions.

Wendy Delorme | Photo Solaris Distribution

Six femmes

Pour tourner son film, Emilie Jouvet a d’abord dû trouver ses héroïnes, six femmes atypiques, des "Riot grrrls" hors normes et joyeusement militantes. Au casting, des filles venues de France, d’Allemagne et des Etats-Unis, cinq "sex-performeuses" et une DJette, toutes issues de la culture queer et revendiquant une sexualité sans tabous. Aux platines le long des shows et du film, on retrouve l’adorable et androgyne DJ Metzgerei qui balance ses sons post punk et électrisants (bon courage pour vous sortir Bitch, de Noblesse Oblige de la tête !). Sur scène, des performances de néo-burlesque, de danse, de théâtre conceptuel ou de simulation sexuelle sont portées par la baby doll Judy Minx (actrice X française et militante féministe pro-sexe passée par hypokhâgne), l’éthérée Madison Young (galeriste, réalisatrice et actrice de X américaine), la déjantée Mad Kate (performeuse, globe-trotteuse originaire de San Francisco et chanteuse dans deux groupes berlinois), la très glamour Wendy Delorme (écrivaine et artiste française, auteure de Quatrième Génération et Insurrections ! en territoire sexuel) et l’inclassable Sadie Lune (artiste, travailleuse du sexe et activiste américaine).

Too Much Pussy, l'affiche | Solaris distribution

Chacune de ces filles occupe une place égale dans le film, sur scène ou en coulisses. Elles ont toutes un grain de sel, de folie et de rébellion à apporter et se complètent à la manière d’une sororité hyper-sexualisée qui se prodigue caresses, soutien et cunnilingus en option.

Féminisme pro-sexe

Toutes les participantes au film (devant et derrière la caméra) se réclament de ces deux mouvances : le féminisme pro-sexe et le queer. Tout cela est très bien, mais peut s’avérer un brin opaque pour les non-initiés. Le féminisme, tout le monde connaît plus ou moins depuis sa propagation dans les années 70, mais on sait moins qu’il existe presque autant de féminismes que de femmes ! L’un des points de bataille récurrent est le métier de travailleur/se du sexe, combattu et méprisé par les unes, défendu et théorisé par les autres. Ces secondes, les féministes pro-sexe, donc, tirent leur idéologie d’une longue lignée de philosophes et de penseurs/ses : Michel Foucault, Annie Sprinkle ou encore Virginie Despentes par exemple, ont réfléchi à l’acceptation et la connaissance du corps et du plaisir féminin mais aussi, pour les deux dernières, à la possibilité de vendre son corps, comme on vendrait une quelconque main d’œuvre.

Les filles | Photo Solaris distribution

Loin des clichés des filles un peu bêtasses ou carrément paumées, les sex-performeuses capturées par la caméra d’Emilie Jouvet font mentir tous les stéréotypes de par leur discours militant et leur sexualité revendicatrice « Everytime we fuck, we win », entend-on à un moment du film… Autre pendant de cette philosophie militante mais joyeuse : la connaissance de soi, comme avec le « cervix » show qui donne à voir un col de l’utérus souvent inconnu !

Queer

Quant au mouvement queer, que l’on associe souvent à tort à l’homosexualité, c’est avant tout l’identité de chacun(e) qui est mise en avant, en dehors des normes hétérosexuelles, certes, mais aussi au-delà de toutes les autres étiquettes. Il s’agit de crier haut et fort son droit à se sentir homme, même doté(e) d’un vagin, et inversement la possibilité d’être féminine sans être né(e) XX. Ou alors de se considérer comme "entre deux", une princesse avec du cambouis jusqu’au coude, ou un policier viril avec une culotte en dentelle.

La théorie du genre | Photo Solaris Distribution

Transgressés aussi les codes des milieux gays et lesbiens, puisqu’une fille qui aime les filles peut porter le talon aiguille aussi bien qu’une autre ! Une acceptation de soi par soi et par les autres qui représente une véritable lutte contre les représentations inculquées dès le plus jeune âge. Sadie Lune le dit très bien, nous vivons dans une société ou des normes surréalistes nous sont imposées à grand coup de Photoshop, laissant à beaucoup le sentiment amer que leurs corps, forcément imparfaits, ne sont pas dignes de désir, ni d’amour. Nos envies et nos libidos, pour peu qu’elles sortent de cette mythique "normalité" nous culpabilisent et empêchent une sexualité ludique et épanouie.

La réalisatrice, Emilie Jouvet (également photographe et engagée depuis longtemps dans les mouvements queer et féministe sex-positive) a répondu aux questions de Citazine.

Comment est née l’idée ce film ?

Ca faisait de nombreuses années que je connaissais beaucoup de performeuses, mais l’idée est réellement née lors d’un passage à Berlin avec Wendy Delorme. Elle venait pour les performances et moi pour un festival, et on s’est rendu compte de l’envie qu’on avait de partager cet univers avec le public.

Et votre belle équipe de performeuses, comment l'avez-vous choisie ?

On voulait une dimension internationale, et je connaissais déjà les Parisiennes (Wendy Delorme et Judy Minx) et DJ Metzgerei. Les autres, nous les avons trouvées sur Internet et grâce au bouche à oreilles.

En regardant le film on a l’impression d’une grande complicité entre les filles, qui forment une sorte de sororité.

Oui, sororité, le mot est vraiment juste, dès les premiers jours elles se sont super bien entendues et ont échangé à propos de leurs expériences et leurs idées. Même s’il y a eu des moments de tension, de fatigue pendant cette tournée d’un mois, la solidarité, l’amitié et le désir entre les filles sont bien réels et ont toujours été présents.

Les filles | Photo Solaris Distribution

Certains critiques disent avoir trouvé le propos flou, le discours peu clair. Est-ce que l’on peut voir le film en étant "vierge" de toutes connaissances queer ou féministe ?

Pour moi, le message est très clair même en n’ayant aucune connaissance car les filles sont très généreuses et pédagogues. En fait, il y a plusieurs niveaux de lecture, selon que l’on se soit déjà intéressé à ces problématiques ou non.

Un autre reproche qui a été fait est le mélange entre documentaire et fiction dans le film…

J’avais envie de faire un objet cinématographique personnalisé, au-delà des étiquettes, même dans sa forme, le film est queer ! Quand on a commencé le film, j’ai dit aux filles que désormais tout était performance, pendant la tournée, la performance a envahi la vie et l’intimité s’est invitée sur scène, brouillant aussi les limites.

À plusieurs reprises, il y a des scènes de sexe plus ou moins explicites entre filles, filmées un peu différemment des autres. Qu’est-ce qu’elles apportent au film ?

L’idée est de représenter trois aspects de la sexualité, comme un prisme sur le même sujet : sa représentation (sur scène), son aspect politique (avec les discours sur la sexualité tenus principalement en dehors de la scène) et sa réalité (les filles ont vraiment eu des désirs, des envies et des relations sexuelles pendant la tournée).

Les filles | Photo Solaris Distribution

Est-ce qu’il y a un moment qui vous a plus émue ou marquée pendant que vous tourniez ?

Pendant le film, nous sommes tombées sur une procession rendant hommage aux victimes d’une tuerie dans le centre LGBT de Tel Aviv, et un an plus tard, ce qui a été très fort et émouvant, a été de diffuser mon film à l’endroit même ou ces deux personnes avaient été tuées…

Comment êtes-vous parvenues à ce tour de force de réunir militantisme et bonne humeur ?

Bien sur, nous sommes toutes issues du mouvement « sex-positive », qui veut que l’on essaie de faire toujours des choses… positives, donc ça joue, mais c’est aussi grâce à la personnalité des filles, ce sont toutes des nanas géniales, drôles… On peut être militant sans se prendre au sérieux !

Le mot de la fin pour vous encourager à aller voir ce film réellement unique, qui a déjà reçu plusieurs récompenses partout dans le monde et sera au MK2 Beaubourg jusqu’à 20 juillet – une programmation prolongée grâce au bon accueil du public. Et si vous en voulez encore, Much More Pussy, uniquement consacré au sexe entre les filles durant la tournée, sortira bientôt en DVD !