Tête à Teste

Tête à Teste

Tête à Teste

Tête à Teste

7 octobre 2010

Créatrice inspirée et écolo optimiste, Isabelle Teste réalise vêtements et objets dans des sacs plastiques. Une reconversion inattendue pour l'un des déchets les plus pollueurs de la planète.

La première chose que montre Isabelle Teste à son visiteur est un lombricomposteur dont elle est très fière. Ici, tout se récupère. Surtout les sacs plastiques, sa marque de fabrique. Cette eco-designer quitte le milieu de la pub après sept années d’astreintes. « Je ne voulais plus travailler comme une malade, je voulais vraiment élever mes enfants ». La directrice artistique n’hésite pas à se réorienter et à se former. Elle choisit la couture, « il n’y a pas de bluff dans l’artisanat » et s’intéresse tout particulièrement aux chapeaux, « un truc qui me faisait très envie depuis longtemps ». Après son apprentissage, l’arpète débute dans les costumes de théâtre, au Lido, à l’Opéra puis pour les plus grands couturiers, Mügler, Dior… « L’école de la minutie. » Isabelle Teste rend hommage à Marie-Claire Barban, qui lui a tant appris : « une fille formidable, sacrée meilleur ouvrier de France » et dirigeante de Chéri Bibi, émérite créateur de chapeaux.

A l’aise, la voici prête à s’installer. Son entreprise Teste naît avec le 21ème siècle. Inutile de se creuser la tête, le nom de la boîte s’impose d’emblée, Teste. « Mon nom de famille, il est simple et en plus ça veut dire "tête" en italien. Je me suis dit que c’était un peu écrit ». Isabelle Teste, prédestinée aux couvre-chefs ? A cette période débutent les détournements de matériau. Le papier bulle ne protégera plus de la casse mais sera un chapeau ; le rideau de douche ne jettera plus de voile pudique mais sera un chapeau ; la toile cirée ne préviendra plus des tâches, mais sera un chapeau. Les matières ou objets détournés de leur mission initiale : l’une des passions de la créatrice. Il suffit d’ailleurs d’observer son intérieur : des bouchons de plastique s’organisent en un rideau de cuisine. Trois bidons s’amoncellent au pied du canapé… Non, c’est une lampe !

Le bonheur est dans le plastique ? 

Armée de ses couvre-chefs hors du commun, Isabelle Teste s’expose dans les rayonnages de Colette, du Bon Marché, de la Samaritaine ou encore du Printemps. Sept ans plus tard, en 2007, elle raccroche, rattrapée par la réalité économique. « C’est long de faire un chapeau et je n’avais pas les moyens de sous-traiter. J’étais fatiguée. » Ces créations ne lui rapportaient presque rien. « Je n’ai pas gagné beaucoup de sous, je me payais à peine. » Elle ferme boutique mais s’accroche au sac plastique, qu’elle connaît bien : « j’ai commencé à travailler le sac plastique parce qu’il était imperméable et tout ce qui était imperméable devenait un chapeau. » Elle n’avait jamais osé les vendre. Après tout, le vulgaire sachet reste un déchet ! Mais quel déchet ! « Quand je suis tombée dedans, je me suis rendue compte que le sac plastique était comme une infinie palette de couleurs ».

Elle entre dans une coopérative et ne travaille plus que cette matière. Jamais on a entendu parler de ce sac tant décrié avec autant d’émotions et de bienveillance. « Le déchet doit être complètement sublimé pour le sortir de sa condition de déchet. Quand je le travaille, c’est avec amour, avec abnégation ». Pas question donc de lésiner sur les moyens, le vêtement est entièrement surpiqué sur un tissu et un soin tout particulier est apporté à la finition. Le sac plastique a beau être le dernier des rebuts, il est aussi un objet décoré, coloré, porteur de messages. « On m’envoie des sacs du monde entier. Il y a une chaîne et je suis au bout. » Un sentiment d’appartenance et une morale respectée : « J’ai l’impression de faire quelque chose de bien, d’éthique ». Isabelle Teste est une créatrice mais aussi une militante souriante, confiante et joyeuse. « Je ne ressemble pas à l’écolo triste qui mange trois graines par jour, qui a peur de tout. Je suis mère de famille et j’ai la responsabilité de montrer un chemin positif à mes enfants. » Légère, elle vole vers un morceau de tôle estampillée Esso et transformé en charmant tabouret. Elle le brandit : « ça me met en joie ! »

Les sacs deviennent des chapeaux, le plus souvent, mais aussi des robes, des tabliers, des blousons, des impers. La modiste taille dans le sac plastique avec dextérité. Mais que faire de ces chutes ? La confortable maison logée dans le 19ème arrondissement de Paris allait-elle devenir le mouroir des sacs plastiques en bout de course ?
La designer refuse de jeter ses morceaux de déchets en même temps qu’elle est taraudé par une idée : « La mode est risquée et se démode, alors qu’avec l’objet, on a plus de temps devant soi. Je suis alors devenue eco-designer ». Isabelle Teste continue bien sûr à créer des chapeaux et élargit son champ d’actions vers la création d’objets.
Mais "eco" signifie écologie, non économie. Nichée au sommet de sa maison, dans un atelier qui, la nuit tombée, devient une chambre parentale, « je ne parviens pas à être concurrentielle sur les marchés ». Difficile de déléguer pour la minutieuse. Pas question d’expédier les sacs vers la main d’œuvre moins chère. « On m’a proposé de faire travailler des gens en Bulgarie, mais c’est complètement idiot de faire voyager des déchets ! » Et puis, produire des objets en masse est irresponsable pour cette petite consommatrice, adepte des petites poubelles.

Elle s’appuie donc sur son mari pour continuer à faire ce qu’elle aime mais avoue : « je n’ai peut-être pas fait ce qu’il fallait, c’est vrai que je n’ai pas fait beaucoup de concessions ». Loin de se décourager, Isabelle Teste a plus d’un tour dans son sac plastique. Elle voit son avenir dans l’événementiel, espère décorer des lieux dédiés, provisoirement, à sa cause. Le Panda qu’elle a créé pour l’Ethical Fashion Show incarne cette nouvelle orientation. Pour faciliter la prise de vue, elle expose l’animal sur une grande feuille de papier blanc qu’elle cale avec un prix gagné au temps de la pub. Le panda de sac plastique lui vole crânement la vedette. Comme dirait l’autre, « le plastique, c’est fantastique ».