Le sexe en ordre alphabétique

Le sexe en ordre alphabétique

Le sexe en ordre alphabétique

Le sexe en ordre alphabétique

20 novembre 2012

Assoiffé de culture, amoureux de la langue, curieux des choses du sexe et de philosophie, Sexe Libris, le dictionnaire rock, politique et historique du sexe saura vous faire du bien. Camille saute du Net au papier et réussit son coup avec cet ouvrage passionnant et passionné.

Si nous connaissons Camille, nous ne savons pas si son sexe est féminin ou masculin. Nous sauterons donc du elle au il tout au long de cet article.

Sexe Libris, de Camille, aux éditions Don Quichotte, novembre 2012

Où il est question de digue dentaire, d’acomoclitisme, du glory hole ou encore des soupeurs. Sexe Libris, dictionnaire rock, historique et politique se sirote au hasard de la page sur laquelle on tombe, ou se boit à grandes lampées, selon vos envies. Où l’article « grève » est l’occasion pour Camille d’évoquer les grèves du sexe menées par les femmes dans plusieurs pays d’Afrique afin de peser dans le débat politique. Juste avant de parler de la « guerre », mais par le biais de l’explosion de libido dont ont été assailli ceux qui l’ont vécu. Les origines des mots, les pratiques modernes ou anciennes, les débats philosophiques qui secouent la société… Camille nous passionnera, nous surprendra avec cet épais dico du cul, abécédaire malin de la chose sexuelle, sexe de A à Z. Le langage réjouissant, les idées savamment menées, les thèmes d’articles souvent surprenants ne vous lâcheront pas de bout en bout.

« Ce n’est pas un dictionnaire des pratiques sexuelles ou un dictionnaire des mots du sexe; c’est une sorte de traité littéraire de la sexualité classé dans le désordre alphabétique et qui vise à faire réfléchir tout en apprenant des mots », commente l’auteur de ce délicieux et instructif ouvrage, où Zahia côtoie fièrement la zélophilie.

Le désordre de l’alphabet

Au fil de ces 445 pages, Camille déambule dans le sexe, selon un parcours qui s’est construit, petit à petit. « J’ai fait une première liste de mots et en quelques minutes, j’en avais 150. J’avais déjà plein d’idées. C’était évident. J’en ai parlé un peu avec David Abiker et avec l’éditrice qui m’ont aussi donné des idées. Ensuite j’ai écrit d’autres mots parce que je les rencontrais. Puis des mots parce que je les trouvais importants. Puis des mots pour m’amuser. J’ai tout mélangé et voila ! J’ai l’impression que c’est venu tout seul en fait. La seule chose difficile, c’était de m’arrêter mais donc j’ai arrêté net le 31 août (avec encore plein de mots en stock). » Assez de mots pour constituer le tome 2 d’ailleurs…

Sexe Libris, c’est aussi un sous-titre qu’il convient d’interroger. « Dictionnaire rock, historique et politique », ça veut dire quoi ? Pour le rock, on voit bien ce que ce mot englobe. Le rock est là pour provoquer et finalement faire réfléchir. Et pour l’histoire et la politique ? Démonstration à l’aide de Jean-Paul II : « Parler de Jean-Paul II dans un dictionnaire du Sexe, c’est rock parce que c’est inattendu. C’est historique parce que la théologie du corps de ce pape a eu une vraie influence dans la vision de la sexualité et c’est politique car les pouvoirs se sont toujours emparés du sexe et continueront à le faire. Après, c’est la manière dont on parle des choses et ce qu’on en dit qui sont rock, historiques et politiques. »

Jean-Paul II en 1982 | FlickR_CC_Iberia Airlines

Pour ceux qui connaissent Camille, on sait que c’est sa façon à elle de nous bousculer. Il prend un sujet et le traite souvent selon un angle tout à fait inattendu. « C’est aussi une des raisons qui me pousse à écrire sur le sexe : ça m’amuse et c’est très politique; c’est bien plus drôle d’écrire un article sur les leçons de sexualité des Républicains que d’expliquer dans le détail pourquoi leurs idées me révulsent, mais ça revient au même. »

Enfant de la toile dans le papier

Camille, dont on ne connaît pas le sexe – « une démarche un peu artistique, un peu personnelle et je la trouve passionnante. Je pensais la faire durer quelques semaines seulement… finalement, ça fait partie du personnage », nous dit-elle – est un enfant de la Toile. Fondateur de Rue69, blog passionnant sur la sexualité et les questions de genre de Rue 89, Camille explore désormais le sexe pour Sexpress sur lexpress.fr. Biberonnée à Internet, le voici maintenant dans le papier, un passage du numérique au palpable qui ne s’est pas fait sans douleur. « Mon éditrice a dû se faire des cheveux blancs… Je lui ai rendu le manuscrit et je ne voulais pas le publier ! Je n’aime pas le côté définitif. Un ami me disait pour me consoler d’une rupture « seule la mort est définitive », le reste évolue simplement. La sexualité, comme la langue, comme l’humanité, doit pouvoir bouger. Un livre doit pouvoir rester vivant… Alors pour compenser ma frustration de tout figer, j’ai ouvert une rubrique « un dictionnaire n’est jamais fini » sur mon site (sexpress yourself) où je pourrai compléter, amender mes définitions et je propose à tout un chacun d’y participer… En même temps, il y a l’objet livre que j’adore. J’aime les livres, l’odeur, les pages… c’est quand même assez plaisant de se dire qu’on a écrit un livre. »

Sexpress, le blog de Camille sur lexpress.fr

Camille espère apporter au lecteur le sourire, des questions, des réflexions, des envies, une curiosité intellectuelle… L’article sur le moulage de bite est peut-être tout ça à la fois. Mais oui, elle a réussi son coup et s’est bien amusé aussi. « J’adore le désordre de l’ordre alphabétique. Il n’y a pas grand chose de moins logique que l’ordre alphabétique et ça me plait beaucoup. Certains mots sont « dans le mauvais sens » c’est à dire que lire le dictionnaire dans le désordre peut éviter des allers-retours, d’autres « tombent bien ». J’aime bien ce côté « surprise » du dictionnaire. » 

Six questions à Camille

– L’article qui vous a particulièrement amusé ? 

Plein ! Villes, genre (anti-théorie du), bifle, MILF, baise-en-ville, insultes et d’autres mais je vous raconterai en off. Parler de Kant dans le « moulage de bite »… J’ai revu ça en voyant l’article de Quentin Girard dans Libé et je me suis dit « putain mais j’ai vraiment osé des trucs idiots » et en même temps, ça m’amuse follement. Ca m’a amusé de distiller ça et là des jeux de mots, un peu comme des oeufs de pâques cachés à droite à gauche.

– L’article qui vous a le plus passionné ?

Plein aussi ! Hendrix, Jean-Paul II, peut-être les articles sur des gens ou celui sur le préservatif par exemple pour lequel j’ai fait beaucoup de recherches ; mais ceux sur le cinéma, comme Deep Throat, qui est un formidable exemple de débat de société autour du sexe. Ou encore la fellation… J’ai appris tellement de choses!

Cynthia Plaster Caster, mouleuse de bite | Photo DR

– L’article sur lequel vous avez le plus hésité, et pourquoi ? 

J’ai fait beaucoup d’articles sur les drogues dans le dico alors que je n’y connais(sais) rien et j’avais peur de dire des choses fausses ; personne ne me répondait. Les associations d’usagers ont refusé de me répondre car je ne suis pas journaliste pour de vrai. J’ai écrit à plein d’associations, c’était l’horreur. Finalement un sexologue, Damien Mascret, m’a envoyé des études parues dans des revues anglo-saxonnes et a répondu à mes questions. Je voulais vraiment parler des drogues (drogues, poppers, blanc bleu, viagra…) parce que je trouve que c’est un angle intéressant et politique pour parler de la sexualité et je ne voulais pas avoir un discours moralisateur du genre « c’est mal ». Je voulais trouver des choses qu’on connait mal. Des usagers me disaient des choses mais je n’avais aucune preuve, aucune source solide, aucune expérience. En plus, autant essayer la brouette japonaise pour écrire un article, ça fait mal aux bras et c’est idiot mais c’est pas très compliqué (enfin c’est très compliqué de réussir, d’ailleurs j’ai échoué, mais ce n’est pas compliqué d’essayer) autant la drogue, ça ne m’attire pas. Je ne savais pas comment faire.

– Le sujet que vous n’avez pas voulu traiter, et pourquoi ?

(longue pause parce que je ne sais pas). Renée Greusard (qui a repris Rue69) m’a demandé si j’avais évité le viol et comme je le lui ai dit, c’était pas très drôle et on ne m’a pas demandé de le traiter non plus. Je n’aurais pas forcément refusé parce que c’est très politique comme sujet. Il n’y à qu’a se remémorer toutes les déclarations sur les « types » de viols professées par des républicains pendant la campagne électorale américaine…
Il y a quelques sujets que j’ai abandonnés… J’avais prévu de parler de l’Utah, à cause des mormons, des lois complètement bizarres sur la sexualité; et j’ai abandonné parce que c’était compliqué mais ce n’est pas comme si je n’avais pas voulu le traiter; j’ai surtout manqué de temps.
Et, la pédophilie. C’est un vrai sujet mais trop difficile à traiter intelligemment dans le contexte actuel. Certains sujets où je risquais la diffamation aussi… Il y a des vraies choses à dénoncer en matière d’abus sexuels ou d’arnaques autour du sexe mais je ne peux pas attaquer des gens personnellement en étant anonyme. Il faut des preuves. Il y a des points sur lesquels j’ai des vrais soupçons mais là je manque d’une formation de journaliste, peut-être un peu de courage, de temps, de savoir-faire.

– L’article qui vous le plus étonné ?

Tellement ! Enfer peut être…. une vraie enquête à la BNF, c’était très amusant. Je cherchais des infos sur le godemiché et je reçois ce livre sous des planches cloutées… J’étais là, à la bibliothèque sur le site de Richelieu qui est ancien, très classique, très austère et cérémonieux. Je reçois ce livre, « Etude sur le mot godemiché et précédé d’une introduction de l’objet » censé dater de 1763, qui a l’air très protégé. J’ouvre et plein de choses « clochaient », comme ce titre… Un petit tour sur Internet et hop je découvre que c’est un gag littéraire réalisé par Louis Perceau, un ami d’Apollinaire, fou de littérature érotique et qui co-réalisa le premier inventaire de l’Enfer de la bibliothèque. Les bibliothécaires et les archivistes sont assez taquins. Et l’éditeur de cette supercherie qui a placé ce livre plein de vice entre quatre vis… J’ai essayé de contacter la petite maison d’édition poitevine qui s’est amusée à fabriquer ce livre « sans vis cachées » mais je n’ai pas réussi à les joindre.

Louis Perceau, auteur de l'Enfer de la bibliothèque nationale avec Guillaume Apollinaire.

– Je crois que la zoophilie vous a particulièrement intéressée, vous me racontez ?

Alors ça date de 2005 je crois (peut être 2006 ou 2007 mais pas plus tard; j’avais moins de 30 ans c’est certain), je rencontre Janine Mossuz-Lavau, une chercheuse que j’interroge sur la sexualité et elle me parle d’une scène porno qu’elle décrit comme « super marrante » entre une femme et un cochon (l’animal par l’homme !) Et là, sur le coup, c’est la sidération (me dis-je en mon for intérieur) ; comment donc est-ce possible ? Une femme chercheuse au CNRS qui parle librement de zoophilie ! Rebelote dans la même période, je discute avec une femme, écrivain érotique qui me raconte comment elle s’est fait prendre par son chien devant son homme que ça excitait (ok, j’ouvre mes chakras, je ne juge pas, tout le monde fait ce qu’il veut hein, on respire).
C’était ma période Foucault (le philosophe pas l’animateur télé) et il avait écrit là-dessus aussi. Et là, d’un coup, j’ai réalisé que l’interdiction de la zoophilie était très récente et que la génération « au dessus de moi » n’avait pas subi le même conditionnement que moi sur la question et en parlait librement.
En fait dans la fin des années 1990, on trouvait sur Internet (qui existait déjà) des petites annonces zoophiles (notamment des prêts de chiens pour les soumises qui étaient alors des chiennes, c’est bon c’est fin ça se mange sans faim).
Enfin bref, je m’intéresse à ce moment-là à une doctorante qui travaille sur la vision de la zoophilie à travers les âges et je me rends compte que l’interdiction de la zoophilie date de 2004, que jusque-là on trouvait dans n’importe quel sex-shop des vidéos zoophiles. J’apprends aussi que la zoophilie est autorisée depuis la Révolution française qui comptait autoriser tout ce qui ne nuisait pas à la société.
Et là, c’est un peu une révélation, la zoophilie c’est vraiment l’essence des visions sexuelles intériorisées. Je veux dire le dégoût « naturel » pour la zoophilie n’a rien de naturel. Je parle dans le dictionnaire du fait que dans certains pays, dans certaines régions rurales, un tiers des hommes avouent avoir eu des relations sexuelles avec leurs animaux. Puis j’avais aussi eu un entretien avec Emmanuel Pierrat sur la zoophilie, c’est un homme passionnant et il me disait « ça doit dépendre de la taille du trou, on doit distinguer le fait de faire mal de l’acte sexuel en soi ». C’est clair ce que je raconte ?

Oui, Camille, tout est très clair. Dense, complet et passionné.

> Sexe Libris, Dictionnaire rock, historique et politique du sexe, Camille, préface de David Abiker, Don Quichotte, novembre 2012