Photojournaliste cherche financements

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26 octobre 2011

Le crowdfunding est tendance. On le voit comme une planche de salut pour des amateurs qui n'ont pas ou peu de moyens. Amateurs ? Pas seulement. Professionnels aussi qui ne parviennent pas à vendre leur travail. Un milieu en crise, le photojournalisme, y a également recours. Zoom sur le site Emphas.is.

Fabriquedartistes.com pour les beaux-arts, My Major Company, Sellaband pour la musique, ou encore Jaimelinfo.fr pour les sites d’informations en ligne. Le crowdfunding, financement collectif ou "par la foule" se développe. Dernier bastion a être tombé : le photojournalisme, avec le site emphas.is, lancé en janvier 2011. Ou comment compter sur les internautes pour pallier la crise qui frappe le métier. Si vous avez toujours rêvé d’envoyer Robert Capa en reportage, ce site est fait pour vous.

« Les 14 950 dollars que j’espère récupérer serviront à payer les vols, la nourriture, l’hébergement, les transports intérieurs en Côte d’Ivoire, Nigéria et Tchad. Si je peux obtenir 18 950 dollars, je pourrai ajouter le Centrafrique. » Le photographe néozélandais Robin Hammond approche de son objectif. Actuellement en page d’accueil du site Emphas.is, Condemned, son projet de reportage – sur les conséquences psychologiques des crises en Afrique, sur les traumatismes consécutifs aux viols de masse, sur ce tiers de Somaliens souffrant d’une maladie mentale – a déjà récolté 9 027 dollars, accordés par 83 "backers". Attention, il ne lui reste cependant que 38 jours pour atteindre son objectif annoncé et débloquer le montant des dons.

Des backers ? Autant de généreux internautes qui ont dépensé 10, 20, 30 ou 3 000 dollars (le don moyen est de 80 dollars) pour apporter leur contribution à un reportage ambitieux. L’expérience va au-delà du simple mécénat puisqu’en s’engageant auprès d’un photographe, ces donateurs accèdent au processus du reportage, à son avancement et peuvent même donner leur point de vue sur ce qui est proposé.

Le photojournalisme traverse une crise profonde

Parrain impliqué, l’internaute a, selon l’importance de son don, droit à des making-of privés : des vidéos, des textes, des images envoyées par le photographe au fur et à mesure de son reportage, un tirage, un stage photo et même la possibilité de voir son logo associé au travail du photoreporter. En six mois, Emphas, « mise en lumière » en grec, a recueilli près de 120 000 dollars et fait naître neuf reportages salués pour leur qualité et leur intérêt.

Belgo-tunisien de 38 ans, basé à New York, le photographe indépendant Karim Ben Khelifa est à l’origine de la démarche avec Tina Ahrens, ex-éditrice photo de Geo Allemagne, et le développeur Fanuel Wever. Une démarche qui n’est pas simplement née de la vogue du crowdfunding ou de l’internet collaboratif, mais également du constat amer de plus en plus partagé par la profession : le photojournalisme traverse une crise profonde, les journaux publient de moins en moins de reportages mais les photographes veulent toujours raconter des histoires. Emphas.is propose simplement de faire tomber les barrières entre le reporter et le public, de faire disparaître les intermédiaires de plus en plus frileux, contraints financièrement ou séduits par les sirènes du people.

Entre un reportage clandestin avec un iPhone au Yemen et la couverture des élections en Tunisie pour Le Monde, Karim Ben Khelifa a pris le temps de promouvoir et d’expliquer ce site novateur. « De plus en plus d’indépendants doivent faire leur reportage en avances de frais. Moi-même, je couvre le Moyen-Orient depuis treize ans. Je connais parfaitement le sujet et le terrain, je me suis fait un joli carnet d’adresses, un joli book et j’ai tout de même moins de travail qu’à mes débuts. Les photographes qui sollicitent Emphas ont déjà proposé leur sujet à un média. Sans succès. »

Neuf projets financés depuis janvier 2011

Sur le site, un reportage de Neil Osborne sur la menace d’extinction qui pèse sur les tortues noires du Mexique n’a récolté que la moitié de l’objectif de départ (11 315 dollars). A dix jours de la clôture du financement, le reportage sera certainement recalé malgré l’engagement de 57 personnes. Juste à côté, après une première phase de son travail sur l’héritage de l’Opération Condor au Brésil (une campagne d’assassinats et de lutte anti-guérilla conduite par les services secrets de plusieurs pays sud-américains au milieu des années 1970), Joao Pina veut continuer à enquêter en Argentine, en Uruguay et au Chili. Un seul internaute a pour l’instant consenti à un don de 50 euros. 11 626 sont nécessaires.

Amanda Rivkin, qui doit réunir 4 250 dollars pour parler des conséquences en Azerbaïdjan de l’implantation de l’oléoduc Baku-Tbilisi-Ceyhan (BTC) bénéficie pour l’instant de 2 725 dollars de promesses de dons. Depuis le lancement en janvier dernier, sur dix-neuf propositions retenues par une trentaine de personnes aux parcours très divers, allant de l’humanitaire à l’aventure mais ayant pour passion la photographie, neuf projets ont été financés.

« Chaque photographe explique son projet dans une vidéo mise en ligne sur le site. Aaron Huey estimait qu’il avait besoin de 17 250 dollars pour placarder d’immenses photos d’Indiens dans le métro de New York et dans les rues de Dakota et Washington. Il a récolté 26 431 dollars, souligne Karim Ben Khelifa. Pour le photographe, c’est une rencontre rare avec son public. Pour l’internaute, il y a un échange, un contact qui ressemble un peu à de l’engagement. S’il est intéressé par les Droits de l’Homme, il peut apporter ses connaissances, conseiller le reporter et, pourquoi pas, comme un rédacteur en chef, donner une orientation supplémentaire au professionnel. Un journal propose, impose. Le lecteur, le téléspectateur est souvent en position passive. Nous misons sur l’interaction et le développement d’une communauté. Nous sommes une réaction à la fuite de certains journaux devant leurs responsabilités d’informations. »

Si photographes et internautes peuvent interagir, les seconds proposer des pistes de travail ou des pistes à creuser, le reportage n’en reste pas moins la propriété de son auteur. Une fois financé et réalisé, un sujet ressemble moins, pour un média, à un épouvantail. Un argument pour qu’il soit à sa place, dans les pages des magazines.