« Men, Women & Children », virtuel superficiel

« Men, Women & Children », virtuel superficiel

« Men, Women & Children », virtuel superficiel

« Men, Women & Children », virtuel superficiel

Au cinéma le

Dans Men, Women & Children, le réalisateur de Juno s’attaque aux rapports humains à l’épreuve de la technologie moderne. Trop dense et parfois peu subtil, ce film sur l’omniprésence du virtuel dans nos vies s’avère assez indigeste et peine à convaincre.

Le nouveau long métrage de Jason Reitman suit le quotidien de sept familles à travers leur rapport au virtuel, analysé principalement sous l’angle de l’isolement et de l’incommunicabilité. Prenant acte d’un monde où la vie de tous les jours – et notamment celle des plus jeunes, nés avec cette technologie – est rythmée par les textos, les messageries instantanées et les publications sur les divers réseaux sociaux, le réalisateur tente d’analyser l’influence de ces modes de communication sur les relations entre adolescents et avec leurs parents.

Chez les Truby, Don (Adam Sandler), le père, recherche une escort girl sur le net tandis que sa femme Helen (Rosemarie DeWitt) s’inscrit sur un site de rencontres extraconjugales. Occupés à chercher l’aventure en dehors du foyer, aucun des deux parents ne remarque que leur fils Chris est devenu accro au porno en ligne. De son côté, Tim a réagi à la séparation de ses parents en quittant l’équipe de foot pour se réfugier dans les jeux vidéo en ligne. L’ado sort uniquement de son isolement pour fréquenter Brandy dont la mère, Patricia (Jennifer Garner), espionne toutes les conversations virtuelles de sa progéniture à travers des mouchards installés sur son ordinateur et son téléphone par peur qui lui arrive malheur. À l’opposé, Donna Clint (Judy Greer) est très permissive avec sa fille Hannah et lui laisse une liberté totale,  l’encourageant même à suivre ses rêves d’actrice et à mettre en ligne les shootings photo réalisés en famille. Complexée, la jeune Allison Doss consulte en cachette dans sa chambre des sites pro anorexie, associant régime drastique et l’espoir d’être acceptée par les autres. Ces différentes histoires portent chacune matière à réflexion mais la profusion des sujets entraine un traitement très superficiel de chaque cas, avec à la clé certains clichés et au final un propos confus, voire dérangeant.

Men, Women & Children

Overdose et clichés

En adaptant Men, Women & Children, roman de l’auteur Chad Kultgen, Jason Reitman – réalisateur à la carrière déjà bien remplie de Thank You For Smoking (2005) à Last Days of Summer (2013) en passant par l’inévitable Juno (2007) – explore le rapport entre les enfants digital natives et les parents perplexes, voire effrayés par une évolution technologie qui les dépassent.

Toutes les situations présentes dans le film sont crédibles et intéressantes, d’autant plus que le réalisateur a décidé de les évoquer avec le même réalisme que dans le livre – ici une chatte est appelée une chatte – à l’image de certains contenus sur le net, crus et sans filtres. Si cet angle sans concession plutôt courageux est à saluer, la profusion de personnages est plus problématique. Une dizaine de personnages principaux – et notamment sept ados en crise, pour des raisons diverses – c’est beaucoup pour un film de deux heures qui affronte des thèmes aussi délicats que l’anorexie, la pression sociale ou encore l’isolement dans un monde virtuel. Il y a là matière à plusieurs films. Par souci d’efficacité, ces nombreux personnages et leurs névroses doivent être vite identifiés, au sacrifice parfois de quelques raccourcis flirtant avec les clichés. Ainsi Patricia, mère flippée qui vérifie les échanges numériques de sa fille et organise des réunions avec d’autres parents pour les avertir des dangers du net, est assez caricaturale. Avec son look strict, cette mère froide et distante colle trop bien avec l’idée que l’on peut se faire de la femme coincée, limite frigide. Son personnage tranche évidemment avec un autre couple mère-fille, lui aussi assez cliché : Donna, la mère actrice ratée permissive à la sexualité épanouie, et  Hannah, blonde avec des seins plus gros que les autres filles et donc considérée comme la bombe du lycée, une pom pom girl, évidemment. Ces traits forcés, instaurant qu’une mère « cool » ne puisse pas être préoccupée par ce que fait son enfant sur le net et qu’à l’inverse il faille être totalement coincé pour s’en soucier affaiblit malheureusement le propos et rend ces personnages trop caricaturaux et difficilement attachants.

Men, Women & Children © Right of Way Films // Paramount Pictures

Exploration superficielle

Au-delà du catalogue trop fourni des « dangers » liés à l’usage d’Internet par les adolescents, le message du film est assez insignifiant, voire discutable. Le film est rythmé par des images de la sonde Voyager explorant l’univers accompagnées d’une voix off. Un périple utilisé par le réalisateur comme métaphore pour expliquer que l’humanité tente d’établir un lien hypothétique avec une existence extraterrestre alors que l’on est incapable de communiquer avec notre prochain. Ce serait donc là la clé de Men, Women & Children, l’échange impossible avec autrui, à cause évidemment de la maléfique technologie. Un propos qui laisse plutôt perplexe car le film montre des situations compliquées – des adolescents en rupture avec leurs parents, parfois même totalement isolés des autres jeunes de leur âge – mais le dialogue nécessaire pour re(nouer) le lien est lui absent.

Négligeant une possible résolution de ces conflits avant d’aller à la catastrophe, le réalisateur semble alors valider la thèse d’un web dangereux par nature. Trop nombreux, les sujets sont traités de façon assez superficielle, sans prendre le temps d’approfondir le malaise de chaque adolescent l’ayant amené à une « consommation » abusive ou risquée du web et du virtuel. Le film donne à voir un Internet menaçant qui serait à l’origine des différentes névroses adolescentes alors qu’il en est un support, une façon de les exprimer, voire de les évacuer. Dans le cas d’Allison par exemple, si les sites pro anorexie sont à combattre, cette maladie existait bien avant Internet mais ici rien n’est dit du malaise initial, et encore moins d’une possible résolution par la discussion. Alors qu’il aurait pu expliciter davantage le dialogue, parfois difficile mais nécessaire, entre parents et adolescents, le film propose une vision de danger permanent lié aux échanges permis par la technologie et s’enferme dans une défiance de l’ère numérique trop clichée pour vraiment interpeller.

Beaucoup trop ambitieux sur le nombre d’histoires qu’il pensait pouvoir traiter simultanément, Jason Reitman se perd dans les méandres du web en réalisant un film brouillon qui force le trait inutilement et reste trop méfiant envers son sujet. Une œuvre sur la difficulté à communiquer qui a du mal à faire passer son message, plutôt ironique non ?

> Men, Women & Children, réalisé par Jason Reitman, États-Unis, 2014 (1h59)

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