« Lou Andreas-Salomé », voler sa vie

« Lou Andreas-Salomé », voler sa vie

« Lou Andreas-Salomé », voler sa vie

« Lou Andreas-Salomé », voler sa vie

Au cinéma le

Vers la fin de sa vie, Lou Andréas-Salomé, égérie intellectuelle et psychanalyste, décide d'écrire ses mémoires. Elle se confie notamment sur ses relations mouvementées avec Nietzsche, Freud ou encore l'écrivain Rikle. Pour son premier long métrage, Cordula Kablitz-Post livre un portrait intimiste et malicieux d'une femme qui a fait de la liberté une philosophie de vie absolue.

En 1933, Lou Andreas-Salomé (interprétée par Katharina Lorenz de 21 à 50 ans et Nicole Heester à 72 ans), romancière, muse et psychanalyste, s’inquiète de l’arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne et décide de se confier à Ernst Pfeiffer (Matthias Lier), un jeune germaniste, qui prend en notes ses mémoires lors d’entretiens réguliers. De sa jeunesse parmi la communauté allemande de Saint-Pétersbourg aux rencontres qui ont forgé sa philosophie de vie, Lou Andreas-Salomé se livre sur un parcours incroyable qui lui a fait croiser la route de Nietzsche (Alexander Scheer), Freud (Harald Schrott) et Rikle (Julius Feldmeier), tous subjugués par son esprit brillant. Une vie passionnante, tiraillée entre le désir d’intimité et l’exigence d’autonomie, vécue avec l’idée révolutionnaire pour l’époque de faire de sa liberté une réalité et pas seulement un précepte abstrait.

Lou Andreas-Salomé

Scandaleuse féministe

Inspirée depuis toujours par la modernité de Lou Andreas-Salomé, Cordula Kablitz-Post — réalisatrice du documentaire Nina Hagen – Godmother of Punk (2011), portrait d’une autre femme déterminée — a décidé de lui consacrer son premier long-métrage de fiction. L’idée remonte à 2010 et devait, au départ, être un documentaire sur la philosophe. Mais devant l’absence de matière le projet s’est peu à peu transformé pour aboutir à un film de fiction. Bien qu’elle ne soit décédée qu’en 1937, aucune interview n’existe de Lou Andreas-Salomé car celle-ci a vécu recluse pendant la période nazie à cause de ses origines juives. Une absence de traces qui plongeait dans l’oubli cette femme et a d’autant plus motivé la cinéaste pour raconter son incroyable parcours et rappeler sa contribution à la vie intellectuelle allemande, et bien au delà. Pour retracer cette vie bien remplie, le film se base sur les souvenirs que Lou Andreas-Salomé a confié à Ernst Pfeiffer, jeune écrivain angoissé venu la consulter en tant que psychanalyste. Basé sur le recueil de ces souvenirs débuté en 1933, le film plonge dans la vie de la romancière à travers une série de flashbacks relatant son enfance, ses nombreux voyages et surtout ses illustres compagnons de route.

Immorale, scandaleuse… La société n’a pas manqué de mots parfois très durs pour décrire le comportement jugé déviant de celle qui faisait de sa liberté une condition non négociable. En avance sur son temps, Lou Andreas-Salomé, anticonformiste et féministe avant l’heure, n’a jamais raté une occasion de s’opposer à la norme. Tout juste sortie de l’enfance elle remet déjà en question les dogmes religieux et décide  de se consacrer à la philosophie. Elle commence alors à écrire des poèmes et fréquenter les cercles intellectuels, au grand désespoir de sa mère qui ne pense qu’à la marier. Persuadée que le sexe, et par conséquent le mariage, place les femmes dans un rôle subordonné, la jeune femme se refuse catégoriquement aux hommes qui la convoite. Parmi ces amoureux éconduits, on retrouve notamment les philosophes Paul Née et Friedrich Nietzsche, peu intéressés par la proposition de Lou qui consiste à vivre à trois une relation purement platonique. Avec sa position radicale — qu’elle finira par assouplir en acceptant les avances charnelles de l’écrivain Rainer Maria Rikle et par la suite d’autres hommes — la philosophie de la liberté absolue interroge sur la difficile — impossible ? — osmose entre l’amour charnel et l’entente intellectuelle. Vaste sujet sur la définition même de l’âme sœur, celle qui comble toutes les attentes.

Lou Andreas-Salomé

La philo selon Lou

Femme fascinante — aux dépens de ses prétendants qui se heurtent à sa soif de liberté inconditionnelle — et inspirante, Lou Andreas-Salomé ne saurait être réduite au simple rôle de muse comme le montre la cinéaste dans ce portrait intime et très documenté. Lorsqu’elle rencontre Freud, Lou, alors âgée de 50 ans, se familiarise avec cette toute nouvelle discipline et devient elle-même analyste, aidant le célèbre psychanalyste dans l’élaboration de certaines de ses théories. L’un des aspects réjouissants du film — en complément de sa liberté de ton — est de découvrir dans toute leur humanité les auteurs célèbres qui ont croisé la route de Lou. C’est notamment le cas de Nietzsche, philosophe à l’imposante moustache, qui apparaît bien dépourvu devant le refus de celle qu’il admire. Au-delà du mythe, Cordula Kablitz-Post propose une vision sensible et accessible de ces grands hommes souvent réduits à leurs idées.

Mentore et protectrice de Rikle, Lou Andreas-Salomé développe sa philosophie empreinte de liberté jusqu’à l’affirmation d’une variante positive du narcissisme. Souvent jugée en marge ou égoïste en raison de sa volonté de vivre tout simplement aussi librement qu’un homme, la philosophe persiste dans cette voie avec cette théorie. Femme libre jusqu’au bout, l’intellectuelle prendra de court les nazis en brûlant elle-même ses écrits et ses journaux intimes avec l’aide du jeune Ernst Pfeiffer. Celle qui a tant résisté aux avances d’hommes illustres n’allait tout de même pas offrir à Hitler le plaisir d’effacer les traces de son existence. Dans cet acte à la fois désespéré et totalement assumé résonne le conseil de Lou à ses contemporains : « Le monde ne te fera pas de cadeau. Crois-moi. Si tu veux avoir une vie, vole-la. » Dans ce domaine, Lou Andréa-Salomé s’est illustrée comme une voleuse flamboyante, refusant toute concession sur sa façon de vivre SA vie.

Portrait intime très documenté, Lou Andreas-Salomé fait revivre cette femme d’exception tombée dans l’oubli en adoptant un ton libre qui ne lui aurait certainement pas déplu. Si le fond de ses travaux — parfois difficiles d’accès — ne sont pas au centre du récit, le film permet d’éveiller la curiosité sur cette philosophe et féministe en avance sur son temps qui mérite que l’on retienne son nom, autant pour ce qu’elle a apporté à la philosophie que pour sa vie de femme libre. Ces deux aspects de son existence étant dans son cas intimement liés.

> Lou Andreas-Salomé, réalisé par Cordula Kablitz-Post, Allemagne, 2016 (1h53)

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