Le chocolat, c’est pas pour les enfants

Le chocolat, c’est pas pour les enfants

Le chocolat, c’est pas pour les enfants

Le chocolat, c’est pas pour les enfants

29 décembre 2011

Hummm... En tablette, en pâte à tartiner, en poudre ou en lapins de Pâques, rien que d'y songer, on s'en lèche les doigts ! Mais les coulisses du chocolat sont loin de ressembler à la chocolaterie de Charlie, et c'est tout de suite moins appétissant...

En 2001, l’IITA (l’Institut international de l’agriculture tropicale qui a pour mission de "renforcer la sécurité alimentaire et améliorer les conditions de subsistance en Afrique à travers la recherche pour le développement" ), mène une étude sur le travail des enfants en Afrique de l’Ouest, qui produit plus de 70% du cacao mondial, et plus particulièrement en Côte d’Ivoire, au Ghana, au Nigeria et au Cameroun, les quatre principaux producteurs de la région. Et si les résultats ne sont que des estimations, les chiffres n’en sont pas moins glaçants : pour la seule Côte d’Ivoire, plus de 625 000 enfants travaillent dans les plantations de cacao. Ce qui a bien sûr des conséquences sur la scolarisation : plus de la moitié de ces enfants (de 6 à 17 ans) ne sont jamais allés à l’école. Certains sont plus exposés que d’autres : l’étude estime que, sur les quatre pays, 284 000 enfants travailleraient à la machette et 153 000 en lien direct avec l’utilisation de pesticides.

Le plus utilisé pour le cacao est le lindane, un puissant insecticide interdit en Europe depuis 2 000, qui « présente des effets néfastes sur le foie et les reins ainsi que sur le système nerveux et le système immunitaire ». Le Centre international de recherche sur le cancer, une organisation de l’OMS, le classe comme « peut-être cancérigène pour l’Homme ».

Et pour couronner le tout, les cacaoculteurs sont peu et mal formés sur les produits chimiques qu’ils utilisent. Résultat : « Quand il s’agit de la vente et de l’utilisation des produits agrochimiques, c’est l’anarchie. Pratiquement personne ne respecte les doses recommandées, les normes de protection des usagers ni les règles sur la manutention et l’entreposage des contenants. », déplore Pascal Houénou, professeur à la faculté des sciences et de l’environnement de l’Université d’Abobo-Adjamé en Côte d’Ivoire.

Le goût amer du cacao

Certes, les plantations de cacaoyer ne sont pas les plus gourmandes en produits phytosanitaires : selon le ministère de l’environnement, de l’eau et des forêts de Côte d’Ivoire, premier producteur mondial (environ 40% de la production annuelle), les surfaces traitées représentent 5 à 15% des plantations. N’empêche. 80% des puits et 90% des sols des plantations de cacao sont contaminés.
Et comme si ça ne suffisait pas, la cacaoculture est aussi une des responsables de la déforestation. D’après la FAO, la culture du cacao a fait disparaître près de 10 millions d’hectares de forêt ces 50 dernières années…
Déjà écœurés ? Attendez ça n’est pas fini…

95% de la production mondiale vient de petites exploitations (moins de 3 ha), soit environ 2,5 millions de familles qui vivent du cacao. Ou plutôt qui essaient d’en vivre, car la précieuse fève ne nourrit pas son homme. Vous vous souvenez de ces 625 000 enfants qui travaillent dans des plantations en Côte d’Ivoire ? 97% d’entre eux travaillent dans l’exploitation familiale. Le revenu du cacao est tellement faible qu’elle conduit les parents à n’avoir pas d’autre choix. Dans cette même étude, l’IITA notait que le revenu annuel moyen par personne dans le secteur cacaoyer était de 30 à 110 dollars, soit loin en-dessous des 1,25 dollars par jour du seuil de pauvreté…
Cerise amère sur le gâteau, la plupart de ceux qui travaillent dans les plantations de cacao, adultes comme enfants, n’ont jamais goûté de chocolat…

Ceux qui se sucrent

Tout ça pour quoi ? Pour alimenter les marchés européens et nord-américains qui consomment à eux seuls deux tiers du cacao mondial. Et la route est longue de la plantation d’Afrique de l’Ouest ou d’Amérique du Sud aux rayons de nos supermarchés (ben oui, c’est surtout là qu’on achète nos chocolats, avouons-le. En France, ce sont même près de 80% des produits à base de chocolat qui sont vendus en grandes surfaces.) Des millions de producteurs, des millions de gourmands et entre les deux, quelques entreprises qui se partagent le gâteau.
Milka, Côte d’Or, Crunch, Mars, Snickers, Lion… tant de choix, mais devinez quoi ? Derrière cette apparence de variété, cinq groupes : Nestlé, Ferrerro, Mars, Kraft Foods et Cadburry, pour près de 60% du marché européen.

Le monde du chocolat est très concentré. Trois groupes dominent le marché de la transformation des fèves de cacao en produits dérivés (poudre, beurre, pâte) : ADM, Cargill et Barry-Callebaut en réalisent 40%. Produits dérivés à partir desquels est fabriqué le chocolat industriel, qui entre dans la composition des tablettes et autres barres chocolatées. Là, le marché est encore plus concentré, et on y retrouve les mêmes acteurs : 40% du marché pour le seul Barry-Callebaut, suivi de Cargill, Blommer et ADM (75% du marché à eux quatre).

Des intermédiaires "invisibles" pour le consommateur mais puissants économiquement. Les cacaoculteurs peuvent difficilement leur tenir tête, d’autant moins qu’ils n’ont généralement aucune visibilité sur les prix du marché. Les producteurs touchent en moyenne moins de la moitié du prix de la tonne de cacao sur le marché mondial, et environ 5% du prix de votre tablette de Milka.

Tout n’est pas noir dans le chocolat

Alors quoi ? Plus possible de céder à une folle envie de chocolat sans être torturé par sa conscience ? Rassurez-vous, il suffit de craquer bio et de croquer éthique !
Mais la part du chocolat éthique reste ridiculement faible : 0,1% du marché mondial du cacao. Le bio, lui, est un brin au-dessus : 0,5%. Pas très encourageant. Passer à la production bio et équitable pose certaines difficultés pour les producteurs : bouleversement complet du mode de production, coûts de certification, coûts plus élevés à la production (salaire de la main d’œuvre, utilisation réglementée de pesticides etc).
Heureusement, il y a de l’espoir. La demande des consommateurs est de plus en plus forte et « les principaux acteurs de la chaîne du chocolat sont sous une pression croissante de la part du public pour rendre l’économie du cacao plus équitable », notait Oxfam dans un rapport de 2008.

Ces dernières années, de grands groupes se sont rapprochés de la voie de l’équitable. Ainsi Kraft Foods s’est allié à Rainforest Alliance et s’est engagé d’ici la fin de 2012, « à utiliser uniquement des graines de cacao provenant de plantations certifiées par Rainforest Alliance pour l’ensemble de ses gammes Côte d’Or et Marabou, une de ses principales marques en Europe du Nord ». Cadburry a annoncé en 2009 qu’en Grande-Bretagne, Irlande, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande, sa fameuse barre Dairy Milk serait certifiée commerce équitable par l’organisme FLO (pour Fairtrade Labelling Organizations, qui regroupe 24 organisations de certification et de promotion du commerce équitable).

Mais attention aux effets d’annonce : en 2001, les principaux acteurs du chocolat ont signé le protocole Harkin-Engel, s’engageant ainsi à prendre des mesures pour éliminer le travail des enfants dans les plantations de cacao. Et la marmotte… Dix ans plus tard, les engagements ne sont pas tenus et les enfants cueillent toujours les cabosses de cacao à la machette.

Envie de chocolat, je fais quoi ?

Certains agissent. Quand Teun van de Keuken, journaliste aux Pays-Bas, découvre qu’esclavage et travail des enfants font partie des ingrédients du chocolat, il décide d’agir : il décide de se faire condamner pour complicité d’esclavage. Le Code pénal néerlandais stipule qu’acheter un produit issu d’une activité criminelle est passible de quatre ans de prison. Sa première démarche, en 2004, échoue. Le tribunal se déclare incompétent. En 2007, Van de Keuken se présente dans la cour suprême, accompagné de deux anciens enfants esclaves, qu’il a convaincu de venir témoigner. Le tribunal n’a pas condamné le journaliste, mais a reconnu la situation déplorable des cacaoculteurs, et conclut que la responsabilité n’incombe pas aux consommateurs. Teun van de Keuken a aussi créé une fondation et sa propre marque de chocolat, Tony’s Chocolonely.

Et à mon niveau ? Je privilégie quand même les chocolats bio et équitables, certifiés clairement par des organismes sérieux : Alter Eco, Ethiquable, Lobodis…
A Paris, je vais piocher dans les créations de Puerto Cacao ou je vais découvrir la boutique-salon-atelier de Laurence Alemanno, ex-chercheure en biotechnologies du cacaoyer, ChocoLatitudes.
J’agis : l’association Slave Free Chocolate propose sur son site des modèles de lettres à envoyer aux grands groupes de l’industrie du chocolat. L’ONG Global Exchange mène une campagne pour un chocolat équitable.
Enfin, je sensibilise mon entourage, en partageant cet article par exemple.

> article initialement paru dans le magazine Shi-zen numéro 1 (ces chiffres, publiés en avril 2010, sont toujours d’actualité).

Encore ?