Le Café Championnet a le goût des autres

Le Café Championnet a le goût des autres

Le Café Championnet a le goût des autres

Le Café Championnet a le goût des autres

9 février 2012

Tenu par une dizaine de personnes en situation de handicap mental et psychique, cet établissement parisien du XVIIIe arrondissement est un authentique « projet de vie ». Il séduit autant par ses assiettes que par son goût prononcé pour les échanges.

Quand on entre, elle est à l’autre bout de la pièce. C’est une horloge murale classique, accrochée à un mur blanc, entre les tables et l’espace détente. A ceci près qu’elle n’a pas de trotteuse. Dans ce restaurant, le mobilier s’amuse avec une évidence : ici, le temps s’écoule de façon quasi-imperceptible. En toute quiétude. Pas de bruit, pas de tumulte. Tout est calme. Bienvenue au Café Championnet, dans le XVIIIe arrondissement de Paris : une enseigne où, en cuisine comme entre les tables, ce sont de jeunes travailleurs en situation de handicap qui s’occupent de tout.

Deux envies, un projet

Non loin du cadran à gros chiffres, Jimmy inspecte le bar à salades. L’après-midi est plutôt calme, « ça fait du bien parce que d’habitude, le mercredi, il y a pas mal d’enfants… et pas mal de bruit ». Avec Abdel et Elvina, il termine une nouvelle journée de service et n’a pas l’air trop fatigué. « Quand j’ai commencé, c’était un peu dur, un peu stressant aussi. Maintenant, ça va mieux. »

Normal, cela fait déjà quatre mois que le café-resto accueille le public. Et quatre mois qu’avec une dizaine de personnes en situation de handicap mental et psychique (avec le soutien de deux encadrants), il sert les clients jour après jour. Ce qui ne passe pas inaperçu : fin 2011, le café a reçu le prix Extra-Ordinaire de la Ville de Paris. A l’origine, tout est parti d’un rapprochement entre l’Etablissement et service d’aide par le travail (Esat) de Menilmontant et l’association Championnet. « L’Esat cherchait un lieu pour faire de la restauration et les membres de l’association, eux, cherchaient un Esat pour donner une nouvelle vie à ce lieu », explique Pierre Pochan, responsable du projet.

Une grande surface, de larges objectifs

Aujourd’hui, le Café Championnet, ce sont 100 m² de surface, dont quarante en cuisine et 70 places assises. Tout a été rénové par les ateliers menuiserie, rénovation et le pôle artistique de l’Esat. La surface à occuper est grande ? Tant mieux parce que le projet de l’Esat ne manque pas de relief. L’objectif : proposer chaque jour aux visiteurs un bar à soupes, un bar à salades, des sandwiches et des planches de charcuterie. Mais aussi faire la promotion des produits qui viennent d’autres Esat de France… « A terme, il faut que tous nos produits cuisinés et vendus viennent de ces structures. On voudrait devenir une vitrine de leurs savoir-faire, de leurs compétences. »

Le concept est original, les prix restent plus qu’abordables (le café est à 1 euro, le croque-monsieur/salade à 4 euros) et ça marche plutôt bien dans le quartier. Salariée du théâtre de l’Etoile du Nord, qui se trouve juste à côté, Astrid apprécie de pouvoir se poser ici dans la journée. « Ce café, c’est un lieu à part. Ici, on n’est pas reçu de la même manière, les gens sont vraiment chaleureux, très accueillants. Et on est d’autant plus content de faire travailler l’équipe en place qu’au fil des semaines, on l’a vue évoluer, faire des progrès. »

En cuisine, Abdel, 21 ans, confirme : « J’aime bien ce qu’on fait ici parce qu’il faut être polyvalent et qu’on fait plein de choses. Mais je préfère être en cuisine ! » Pareil pour Elvina, 22 ans, et Jimmy, deux ans de moins. La salle, l’accueil des clients, c’est impressionnant. Pas facile de prendre confiance en soi quand on n’a pas l’habitude de ce genre d’activités. Pourtant, tous ont relevé le défi.

L’exigence de bien faire

« On essaie de voir ce qu’il est possible de faire en fonction des handicaps et des difficultés de chacun, confirme Pierre Pochan, qui accompagne ces jeunes atteints notamment d’autisme ou de trisomie. Mais c’est vrai qu’en étant tournés vers l’autre, tous ont forcément une exigence plus importante vis-à-vis d’eux-mêmes. Quand une personne atteinte d’une déficience prend une commande par exemple, elle fait l’effort d’aller vers les gens. C’est elle qui fait le plus dur. Voilà pourquoi nous, on est là pour l’accompagner. »

 

Se dépasser, prendre confiance en soi, devenir autonome : le challenge est là pour Jimmy et tous les autres, qui ont été formés à l’Esat avant de prendre part à cet atelier hors les murs. Au bout d’un an ou deux, ceux qui passent entre les tables et les casseroles pourront peut-être prétendre à une certification professionnelle. « On ne gagne pas à tous les coups. C’est même plutôt l’inverse, tempère le responsable du café. Mais on continue. » Coûte que coûte.

« On essaie de partager autre chose »

Les promoteurs du projet défendent en tout cas « un vrai projet de vie. On essaie de faire quelque chose qui dépasse le cadre de la restauration. On n’est pas non plus seulement dans une volonté affirmée de changer de regard sur le handicap, poursuit Pierre Pochan. Les relations clients/cafetiers sont différentes. Ici, on sait que l’on ne sera pas forcément servi en deux minutes mais on essaie de partager autre chose. Et si on a envie de se poser juste pour discuter, c’est aussi possible ». Dans un coin de la grande salle, une sono est en voie d’installation. Des concerts vont bientôt être organisés sur place. Une exposition photos est également programmée. Les projets ne manquent pas pour que vive le Café Championnet.

 

Près des fourneaux, Abdel, Elvina et Jimmy parlent de l’après. « Si je me vois travailler en cuisine plus tard ? Pas vraiment, répond le premier. C’est compliqué quand même. Ici, on est dans un milieu protégé : les moniteurs, ils t’aident ». Il s’arrête, sourit puis reprend. « Mais j’ai des projets. » Pareil pour Jimmy, qui réfléchit encore à la suite. Elvina, elle, confie : « moi, je suis bien ici. La cuisine, ça me plaît vraiment ». Tous pensent à demain : ils sourient. En soi, c’est déjà énorme.

 

> Café Championnet, 14-16 rue Georgette-Agutte, 75 018 Paris. Ouverture mardi, jeudi et vendredi de 9 à 14 heures et de 18 à 22 heures ; mercredi de 9 à 22 heures et samedi de 9 à 21 heures.