La belle ouvrage

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La belle ouvrage

27 avril 2011

Les Vertugadins, un atelier de costumes. A l'intérieur s'agitent les Vertugadines, trois jeunes femmes passionnées de couture et de vêtements d'époque et qui ont choisi d'en faire leur métier. Broderie, dentelle, tulle, crinoline. Bienvenue au pays de l'étoffe et des matières.

Vertugadin : nom masculin, de l’espagnol vertugado. Bourrelet que les femmes portaient par-dessous leur jupe pour la faire bouffer ; robe rendue bouffante par l’un de ces bourrelets, à la mode d’Henri III à Louis XIII.
Le vertugadin, un dessous féminin, fleuron de la lingerie Renaissance. Les Vertugadines, trois jeunes femmes âgées de 25 à 32 ans, qui, ensemble, créent et fabriquent des costumes au sein de l’atelier les Vertugadins. Emilie, Guënic et Clémentine sont costumières et cogérantes de leur société, une Scop à responsabilité limitée, créée en août 2010. Les deux premières se sont rencontrées lors d’un jeu de rôle grandeur nature. Jeu de rôle et costumière sont d’ailleurs des mots qui vont très bien ensemble… L’une est autodidacte, l’autre a suivi une formation, les deux rêvent de robes Renaissance. Ensemble, elles veulent fonder une SARL. Mais seule la coopérative Coopaname croira en leurs envies d’étoffes et leurs rêves de dentelles. C’est donc là qu’elles feront leurs classes les premières années.

L’atelier : la caverne d’Ali Baba

La dernière à rejoindre le navire, c’est Clémentine. Après un diplôme des métiers d’art costumier-réalisateur, elle rejoint la troupe suite à un stage, voici trois ans. Elle, c’est plutôt dans une robe drapée, 1900, qu’elle s’imagine.

Les Vertugadines ont élu domicile au premier étage d’une ancienne demeure, à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). C’est dans cet atelier qu’on agite la machine à coudre, qu’on s’active à la presse et qu’on espère s’offrir bientôt une surjeteuse industrielle. Et bientôt quitter les lieux. Crinolines, chapeaux, manteaux, robes, dentelles, Renaissance, médiéval, moderne, cotonnade, laine, cuir, vinyle. Tous les styles, toutes les périodes, toutes les matières se tutoient dans un désordre organisé. Une caverne d’Ali Baba du costume historique. Un chatouillement : l’envie de tout essayer. Et force est de constater que les jupons et crinolines ont besoin d’espace !

Ici, le savoir-faire est de rigueur, les modèles sont uniques et sur-mesure. Les mains des Vertugadines sont guidées par le souci du détail, la reconstitution historique a des exigences avec lesquelles on ne badine pas. Plumes, perles, fleurs, dentelles, tissus, étoffes, etc., la matière est respectée, le vêtement choyé. Le temps et la patience sont leurs fidèles complices.

Les filles proposent un service de location pour les particuliers. Les pièces ont été chinées dans des brocantes, débusquées dans les vieilles malles de leurs aïeules, apportées directement à l’atelier par des personnes désireuses de les aider. D’autres costumes disponibles à la location ont été créés de toutes pièces par les six mains agiles des Vertugadines.

Au service des reconstitutions historiques

Produits phares de la collection : les costumes de pirates, de dandys et du XVIIIe siècle. « Il y a beaucoup de bals organisés comme le bal de Versailles, carnet de bal, les menus plaisirs. On fournit aussi des associations de reconstitutions historiques », explique Clémentine. Elle évoque d’ailleurs avec fierté « une panoplie de pantys, chemisiers en dentelle et autres merveilles de grenier. Ainsi que des robes d’époques des années 20 et 50, dont une totalement perlée ! » Leur collection est également riche de pièces authentiques obtenues lors des ventes organisées par l’Opéra ou la Comédie Française.

Elles habillent les amoureux d’histoire qui, de temps en temps, ont besoin d’une immersion costumée et travaillent aussi avec des troupes de théâtre, dont le Bouffon Théâtre. Récemment, elles ont habillé les comédiens d’Intrigue à Talmont, mis en scène par Laurent Labruyère. Clémentine parle du costume de Pierre Loti, l’un des personnages, navigateur de son état. Comment préparent-elles le costume d’un personnage ? « On étudie d’abord ses traits de caractères et on voit s’il est, ou non, décalé dans son époque. » Pierre Loti, un brin loufoque, s’est vu attribuer un grand manteau de cuir. « Dessus, on avait dessiné une grande carte marine. Il donnait des indications directement sur son manteau ! » Autre particularité du pardessus, il a été patiné à la vodka, au porto et au Martini.

Au coeur du travail, la patine

Un élément de la profession particulièrement enthousiasmant pour Clémentine : « On cherche un rendu particulier et on va mettre tout en œuvre pour y parvenir ». Les yeux brillants, elle évoque le gilet bleu du Capitaine Crochet. « On l’a laissé tremper toute une nuit dans une eau très salée. Le lendemain, on l’a mis à sécher et des auréoles de sel sont apparues ». Dix ans de mer n’auraient pas fait mieux !

C’est aussi ça, faire des costumes. Les vieillir, les user, les tâcher, faire en sorte qu’ils aient déjà de la bouteille. « Le costumier n’est pas uniquement dans la création, il doit trouver des solutions pour répondre à un cahier des charges très précis. Il faut toujours chercher, c’est passionnant ! » Chercher, avoir le nez dans les bouquins, et avoir tout de même un goût prononcé pour l’exactitude historique. L’une de leur marque de fabrique est la réalisation de costumes d’époque dans des matières contemporaines. Un régal pour Clémentine ! Les Vertugadines se sont alors essayées au corset XIXe en chambres à air et une crinoline de 1860 en vinyle et PVC. En 2009, elles ont réalisé les costumes pour la sortie de Final Fantasy 13, à la Japan Expo. Avec des lacets en coton, elles ont fabriqué une cotte de maille. Un système D jouissif, impressionnant et surtout très efficace.

Bientôt le cinéma ?

Il faut aussi apprendre à ajuster les coupes des vêtements anciens aux silhouettes actuelles. Poitrine lourde, taille marquée et épaules tombantes du début du XXe siècle n’ont plus rien voir avec nos épaules carrées, tailles conséquentes et gorge moins généreuse.

Actuellement, les Vertugadins sont mobilisés pour de nombreux mariages, et plus particulièrement pour les costumes des messieurs. Elles préparent un costume médiéval, un costume XVIIIe champêtre, un autre moins champêtre. Savoir jongler entre les époques est une gymnastique quotidienne qui les a parfois menées vers les extrêmes : « A une période, on se partageait entre un défilé de lingerie et une tournée de catch ! »

Les Vertugadines ont délibérément choisi de ne pas se spécialiser. Elles aiment travailler pour les particuliers, le spectacle, l’événementiel ou se mettre au service de l’Histoire. Le cinéma ? Elles ont déjà travaillé sur plusieurs courts métrages. Le hic : « Pour le cinéma, il faut être disponible 24 heures sur 24, pendant des mois. Voulons-nous mettre les autres projets de côté durant tout ce temps ? » N’empêche qu’elles sont en course pour un long métrage. Clémentine n’en dira pas plus, elle ne veut pas tenter le diable.