« Jours de France », road trip poétique

« Jours de France », road trip poétique

« Jours de France », road trip poétique

« Jours de France », road trip poétique

Au cinéma le

Lorsque Pierre quitte Paul ce dernier part à sa recherche sur les routes de France, guidé par la géolocalisation de l'appli de rencontre gay Grindr. Jours de France propose un périple contemplatif et poétique, parfois drôle, dans lequel un homme s'abandonne aux lieux et personnes qu'il rencontre, sans autre raison que l'expérimentation. Une odyssée moderne attachante bien qu'un peu maniérée.

Au petit matin, Pierre (Pascal Cervo) quitte Paul (Arthur Igual). Au volant de son Alfa Roméo, il traverse la France et enchaîne les rencontres — sexuelles ou non — sans destination précise, se laissant porter par le hasard. Pour son périple, Pierre utilise sur son téléphone portable l’application Grindr qui recense autour de lui les lieux de drague et les opportunités de rencontres gay. Pour retrouver son amant parti sans explication, Pierre a également recours à cette appli qui lui permet de le suivre à la trace. Pendant quatre jours, les deux hommes vont se suivre à distance sur les routes de France.

Jours de France

Escapade sans but

Contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, Jours de France n’est pas forcément le candidat idéal à l’étiquette de « film gay », une catégorie qui a tendance d’ailleurs à perdre de sa pertinence au fil des années. En effet, le couple dont il est question est homosexuel et la chasse aux hommes de Pierre comme la chasse à l’homme de Paul s’organisent grâce à une célèbre application de rencontre gay. Pourtant le premier long métrage de Jérôme Reybaud lorgne plus vers le voyage initiatique qu’il ne parle de la communauté homosexuelle. Parmi les rencontres que fait Pierre il y a bien Matthieu (Mathieu Chevé), jeune homme de province qui a hâte de rejoindre Paris pour vivre plus sereinement son homosexualité, et les plans sans lendemain fournis par Grindr mais, dans l’ensemble, le film ne cherche pas à porter un message particulier ou à proposer une sociologie du milieu gay. L’application utilisée comme un simple « GPS sexuel » par Pierre est au cœur du film car elle le guide dans sa traversée de la France et qu’elle sert de mouchard pour Paul mais elle n’est pas le sujet du film. Mis à part la plus grande facilité de rencontre permise par l’application, le film pourrait aussi bien concerner un couple hétéro et la fuite en avant de Pierre tend vers l’universel.

L’essentiel se trouve ailleurs dans l’escapade mystérieuse de cet homme qui, un matin, décide que quitter son compagnon. On ne sait pas grand chose de ce personnage peu bavard, froid dans son rapport aux autres et qui n’a aucun plan précis pour son voyage qui le mène à travers les plaines et les montagnes, au hasard des rencontres. Et des Français, Pierre en croise beaucoup sur sa route : des partenaires sexuels éphémères mais aussi une libraire, anciennement sa professeure, une voleuse qui le dépouille, un VRP, une vieille dame avec un caddie qui n’a plus toute sa tête… Tous ces personnages lui font part de leur quotidien, de leur solitude souvent, et se confie à cet homme sorti de nulle part et qui ne va nulle part. Des échanges tour à tour touchants et drôles qui structurent le parcours improbable de ce fantôme errant au volant de sa rutilante voiture italienne.

Jours de France

Poésie naturelle

Jours de France repose autant sur les rencontres effectuées par Pierre que sur les lieux qu’il traverse. Ces différents paysages jouent un rôle dans sa quête qui reste mystérieuse aux yeux du spectateur puisqu’elle se refuse à l’explication. Les kilomètres s’enchaînent et le voyageur traverse les villes, leurs périphéries et les bourgs de campagne sans jamais sembler vouloir se poser. Ce mouvement permanent renforce la sensation de vide et de mystère qui entoure le périple de cet homme qui cherche à s’évader. Mais de quoi exactement ? Si la volonté de fuite est évidente, sa raison reste obscure. Confronté au vide, il arrive même au « bout de la France » lorsque sa voiture s’arrête sur un chemin de montagne qui ne mène à rien. Le tout donne l’impression d’un sens qui s’échappe constamment et renforce le côté poétique du voyage. Au point que l’on peut se demander si l’on souhaite que Paul finisse par retrouver son amant et vienne briser ce moment privilégié, en apesanteur.

Avant de se lancer dans le cinéma, Jérôme Reybaud a réalisé un doctorat sur le poète Philippe Jaccotet et cette fibre littéraire on la retrouve — peut être un peu trop — jusque dans les dialogues de ces personnages rencontrés au gré du hasard. Si les répliques bien ficelées et amusantes ne manquent pas, les échanges de Pierre avec ses compagnons de route pâtissent parfois d’une certaine lourdeur de style. Le cinéaste a pris le parti de personnages qui pour la plupart s’expriment, comme Pierre, parfaitement mais leurs tirades sonnent parfois trop littéraires pour être naturelles et leur perfection les rend suspectes. Les échanges qui en résultent peuvent paraître forcés, une impression renforcée par l’accumulation des rencontres dans le film. Reste la conclusion de ce périple mystérieux qui tient en haleine et donne le sel de cette aventure. Celle-ci pourra paraître décevante pour certains spectateurs, à moins que le parti pris du cinéaste soit justement de nous renvoyer au moment du générique de fin au souvenir déjà nostalgique de ce voyage entrepris, aux rencontres et ces jours en suspens qui ont permis à Pierre d’échapper temporairement et miraculeusement à sa propre existence.

Voyage à la fois terre à terre et poétique, Jours de France suit un homme en fuite de sa propre vie, guidé par les potentialités de rencontres passagères — sexuelles mais pas seulement — sur son chemin. Un road trip porté par des lieux et des visages sans cesse renouvelés qui laisse entrevoir une réalité alternative, hors du temps et de soi-même. Pour y accéder il suffit de prendre la route.

Jours de France, réalisé par Jérôme Reybaud, France, 2016 (2h17)

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