Il reste des « poilus de quatorze » !

Il reste des « poilus de quatorze » !

Il reste des « poilus de quatorze » !

Il reste des « poilus de quatorze » !

6 mai 2011

Agnès Pierron aime les mots du sexe. Elle y a consacré un dictionnaire et vient de sortir un recueil d’expressions faussement neutres mais vraiment érotiques. Dans un langage fleuri, cru et espiègle, la linguiste, historienne du théâtre se délecte des babas, biscuits, bidets. Pourvu qu’ils aient du goût !

L'origine du monde, Gustave Courbet, 1866

L’année dernière, vous sortiez le Dictionnaire des mots du sexe. Il vous semblait important de les répertorier pour que ces mots ne se perdent pas ?

Je l’ai sorti pour deux raisons. L’aspect livresque des choses. J’y cite énormément de grands auteurs depuis le XVIIe siècle. Ce n’est pas perdu dans le sens où ces mots existent dans cette littérature. Cela dit, personne ne les avait jamais répertoriés. Mais c’est aussi un travail d’enquête avec beaucoup d’expressions inédites qui ne se trouvent ni dans la littérature ni dans d’autres dictionnaires.
J’ai rencontré des gens qui m’ont donné des expressions que personne n’utilise ailleurs. Elles ne sont pas tout à fait perdues mais pourraient se perdre. Alors qu’elles sont contemporaines, de 1950/60. Comme « Faire un tour sur les neiges éternelles », une expression qui a pour cadre le Bois de Boulogne. « Avoir la queue en papier peint », se dit dans le milieu du théâtre. Et dans celui de la prostitution, on a aussi “Gorge profonde, langue retournée“, une pratique de fellation. Je l’ai appris d’une prostituée qui s’est exercée dans un bordel de Tanger dans les années 60.

Napoléon sur les remparts

Ces jours-ci, sort Souris qui n’a qu’un trou… est bientôt prise !, un recueil d’expressions courantes qui ont des origines sexuelles. Ça vous amuse que les gens utilisent un vocabulaire sexuel sans le savoir ?

Oui ! La langue est piégée ! L’avoir dans l’os, avoir été eu, l’avoir dans le baba ! Toutes ces expressions parlent d’anus et de sodomie !
« Retirer son épingle du jeu ». L’épingle, c’est le pénis et le jeu, le sexe féminin. C’est tout à fait érotique.
« On ne s’embarque pas sans biscuit » signifie qu’il faut amener son biscuit. Emmener son biscuit, dans l’univers de la partouze, signifie emmener une compagne, une femme. Le vocabulaire courant est très souvent piégé et on utilise beaucoup de mots à double sens. « Souris qui n’a qu’un trou est bientôt prise » est un exemple parfait. Non pas que l’origine soit réellement érotique, mais l’expression est à double sens. Elle signifie que celui qui n’a qu’une corde à son arc risque d’échouer. Mais dans un sens érotique, la fille qui n’a que son vase légitime, son sexe féminin, dans une entreprise sexuelle, risque fort de se retrouver en cloque. Les deux sont utilisés. J’ai trouvé un texte de Mirabeau qui l’employait dans le sens érotique.

Souris qui n'a qu'un trou... est bientôt prise, Agnès Pierron, Balland.

Croyez-vous que le vocabulaire de la sexualité aide à bien vivre sa sexualité ?

L’acte en lui-même, bing-bing, n’est pas d’un intérêt fabuleux. Il y a aussi autour, tout le cinéma, que les gens se font. C’est une évidence, sur le plan érotique, on trouve le discours, la drague, le fantasme. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre ! Un type qui dit à une fille : « Je t’embarque, j’te baise ». Elle ne le fera pas.
On parle, il y a du langage même dans la baise. L’acte sexuel sans discours est perçu comme violent, surtout de la part d’une femme.
Et le Dictionnaire des mots du sexe amuse et plaît aux gens parce qu’ils y découvrent des choses. Je vois beaucoup de jeunes couples dans les salons du livre qui me disent : « Ça nous donne des idées ! » On ne peut pas avoir d’idées si on ne met pas de mots dessus.

Se retourner le continent

Plus on sait parler de sexe, mieux on pratique ?

Personnellement je le crois, mais je n’ai pas fait d’enquêtes là-dessus. Plus il y a d’élaborations intellectuelles, plus il y a de jouissances, de plaisir.

Agnès Pierron | Photo RC

On utilise beaucoup de métaphores pour parler de sexe. Quels sont nos domaines de prédilection ?

Dans le dictionnaire, j’ai répertorié dix-sept catégories et chaque mot et expression entre dans l’une d’elles : art et spectacle, artisanat et métier, bestiaire, corps, couleur, échange et argent, flore, fruits et légumes, jeux et sports, maison, métaphores militaires, nourriture, objet, paysage, religion, voyage, vêtement et transport.
Par exemple, il existe une expression que j’ai classée en Art et Spectacle et que j’aime beaucoup. « Il y a eu quelques poussières dans la flûte ». Cela signifie que l’enfant n’est pas celui du mari mais de l’amant ! La poussière, c’est le spermatozoïde et la flûte, le pénis. C’est vraiment drôle et ça permet de désamorcer des situations compliquées. C’est drôle, élaboré !

Casser le couloir à lentilles

Selon vous, notre époque est-elle plus prude que les précédentes ?

C’est très difficile à dire. Je ne peux pas répondre de manière catégorique. Les gens se croient libérés aujourd’hui mais je ne pense pas que l’époque soit si libérée que ça. Certains sont vraiment très directs. Houellebecq est très direct. J’aime aussi beaucoup Catherine Millet. Voilà de la vraie littérature érotique, très élaborée, très littéraire et très belle.
Cela dépend vraiment des auteurs. Catherine Millet est très directe mais aussi très élaborée. Et vous savez, quand Proust écrit qu’Albertine s’est fait casser le pot, il est direct… Mais aussi littéraire !

Dictionnaire des mots du sexe, Agnès Bierron, Balland.

Avez-vous des expressions de prédilection ?

« La poussière dans la flûte », « La bite en papier en peint » que j’ai citées plus haut. J’aime beaucoup aussi « Faire le profil grec ».

Faire le chapeau du commissaire

Il s’agit de sodomie ?

Non ! Ça veut dire « bander ». Faire le profil grec a trait au relief et renvoie à la statuaire grecque nue.
Toutes les expressions qui tournent autour du bidet aussi, j’aime beaucoup. Comme celle-ci, « Se faire un matelas en velours de bidet ». Il s’agit d’une prostituée qui met de l’argent de côté pour ses vieux jours.

On n’utilise pas tous les mêmes expressions…

Bien sûr que non ! Un type qui arrive dans un dîner en ville pour dire que sa femme est enceinte, ne dira pas qu’elle s’est brûlée aux cierges de Saint-Pierre ! A Neuilly, on ne dira pas ça. En fonction des circonstances, des origines sociales, des corps de métier, le niveau de langue varie. C’est aussi ça qui me plaît tant !

L’expression du titre « Le poilu de quatorze » désigne le pubis. 

Dictionnaire des mots du sexe, Agnès Pierron, Balland, 923 pages, 35 euros.

Souris qui n’a qu’un trou… est bientôt prise, Agnès Pierron, coll. les dicos d’Agnès, Balland, 8,90 euros.