Droit d’asile : la crise

Droit d’asile : la crise

Droit d’asile : la crise

Droit d’asile : la crise

30 novembre 2011

Claude Guéant, ministre de l'Intérieur, a prononcé un discours annonçant la réforme du droit d'asile en France. Pierre Henry, directeur général de France Terre d'Asile, juge ces mesures coercitives inadéquates et impropres à régler les nombreuses imperfections d'un dispositif en crise, selon lui en opposition au respect des droits des demandeurs d'asile.

"L’asile est la protection qu’accorde un Etat d’accueil à un étranger qui ne peut, contre la persécution, bénéficier de celle des autorités de son pays d’origine", définition proposée par l’Ofpra, Office français de protection des réfugiés et des apatrides. Le 25 novembre, Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, prononçait un discours qui prévoit une réforme du droit d’asile. Il dénonce des demandes frauduleuses, détournées à des fins économiques. Dans son arsenal, entre autres, une réduction du budget, un délai raisonnable de dépôt de dossier, une liste de "pays sûrs" allongée. Ces pays respecteraient désormais les droits de l’Homme, la liberté et la démocratie. Les demandeurs d’asile originaires de ces "pays sûrs" entrent dans une « procédure d’exception », qui permet une expulsion sans attendre la décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), l’instance de recours en cas de refus de l’Ofpra. Citazine a demandé à Pierre Henry, directeur général de France Terre d’Asile, de réagir à ce discours.

Claude Guéant, dans son discours, a avancé des chiffres montrant une forte hausse du nombre de demandeurs d’asile. 60 000 personnes en 2011 contre 47 686 en 2009. Comment percevez-vous ces chiffres ?

Ces chiffres qui sont présentés comme une hausse vertigineuse ne font que revenir au niveau de 2004-2005. Je pense aussi qu’ils témoignent d’une grande confusion des systèmes d’accueil en Europe. Parce que, dans le même temps, la demande d’asile a été diminuée par deux dans l’Union européenne. Elle était de 430 000 dans les années 2000, dans l’Europe à 15. Elle est aujourd’hui de 240 000/250 000 dans l’Europe à 27 Etats membres. Dans un certain nombre de pays européens, nos voisins qui ont une frontière avec l’extérieur, l’enregistrement des demandeurs d’asile ne se fait pas. En Espagne, on est à moins de 8 000 demandeurs d’asile pour l’année 2010. En Pologne et en Grèce, les chiffres sont aussi extrêmement bas. Il est possible, en effet, qu’il y ait un "effet report" en Europe, c’est un problème de gouvernance au niveau européen.

Je ne pense pas que le ministre ait raison d’annoncer une septième modification de l’ordonnance de 1945 sur l’entrée et le séjour des étrangers en France, alors même que les mesures précédentes, toutes coercitives, ont prouvé leur échec. Et transformer en réalité ce qui est aussi au niveau national une crise de gouvernance, une crise de pilotage du dispositif national d’accueil en espèce d’accusation de fraudes généralisées au système de droit d’asile n’est pas très sérieux ni conforme à ce qu’on est en droit d’attendre d’un ministre de la République, notamment du ministre de l‘Intérieur.
La situation actuelle signe un aveu d’impuissance et un échec des politiques coercitives qui ont été menées depuis 2002. Ces politiques n’ont cessé de plonger dans la précarité un certain nombre de demandeurs d’asile, de les exclure d’une procédure juste et équitable. Aujourd’hui, nous sommes dans un profond désordre sur l’ensemble du territoire. Ce désordre s’accompagne d’un déni de droit pour les demandeurs d’asile.

Seuls 25% des demandeurs ont accès aux structures d’accueil

De quelle manière se manifeste le déni de droit ?

Il faut savoir qu’un seul demandeur d’asile sur quatre aujourd’hui a accès à une structure d’accueil spécialisée (le Cada, centre d’accueil des demandeurs d’asile, NDLR). Trois sur quatre sont laissés à la rue, les squares, les jardins de nos grandes villes, soit livrés aux marchands de sommeil, avec un accès de temps à autres aux centres d’hébergement d’urgence. En contradiction totale avec les objectifs du gouvernement qui, dans la loi de finances 2008, avait prévu que 90 % des demandeurs d’asile auraient accès aux structures spécialisées à l’horizon 2011. Nous y sommes et seulement 25 % des demandeurs ont accès à ces structures.

Ils n’y accèdent pas parce que le parcours pour y parvenir est trop difficile ou parce qu’il n’y a pas de places pour eux ?

Il y a plusieurs raisons. Le parcours est rendu beaucoup trop difficile avec la multiplication des procédures d’exception[fn]La procédure d’exception peut être appliquée dans quatre cas précis : la demande relève de la compétence d’un autre Etat européen, le demandeur est originaire d’un "pays sûr", la demande est frauduleuse ou abusve, le demandeur constitue une menace grave à l’ordre public[/fn], qui exclut de fait des demandeurs d’asile de la possibilité d’accès à ces centres. Il existe par ailleurs des durées de procédure qui sont beaucoup trop longues. 22 à 23 mois ! Là aussi, monsieur Guéant doit s’interroger. En 2003, Jacques Chirac, alors président de la République, avait fixé comme objectif une durée de procédure de 6 mois. A l’époque, j’avais déclaré que ce n’était pas très réaliste. Aujourd’hui, nous en sommes à 22 ou 23 mois. A qui la responsabilité ? Tous les leviers sont dans les mêmes modes depuis 2003 !

Moi-même, je suis favorable à la réduction des délais de procédure, bien évidemment. A condition que cela s’accompagne d’une garantie des droits pour les demandeurs. Je peux multiplier les exemples ! La France dit être très généreuse. En réalité, cette générosité, ce nombre de demandeurs d’asile dont on parle, est lié à des difficultés au niveau européen. Et la France est loin d’être le pays le plus généreux en termes d’octroi du statut de réfugié ! Puisqu’aujourd’hui, l’Allemagne et l’Angleterre attribuent plus de statuts que notre pays.

Claude Guéant pointe également du doigt les demandes frauduleuses qui seraient en fait une immigration économique. Pour preuve, selon lui, la baisse du taux de reconnaissance d’une protection de 36 % en 2008 à 26 % aujourd’hui. Pour vous, ces chiffres ne prouvent rien ?

Mais non, rien du tout ! C’est parce qu’on a multiplié les procédures d’exception qui fait qu’effectivement le taux baisse. Le taux ne baisse pas parce qu’il y a plus de fraudes mais parce que la France a un dispositif qui est de plus en plus coercitif. Ce que je répondrais à Monsieur Guéant, c’est que si lui voit beaucoup de faux demandeurs d’asile, moi, je vois beaucoup de faux déboutés d’asile, des personnes qui n’ont pas eu accès à des procédures justes et équitables.

Les procédures d’exception impliquent qu’on ne donne pas de titres de séjour aux personnes mais que vous examinez quand même leur demande d’asile. Sauf que, pendant ce temps-là, ils n’ont droit à rien. Ils n’ont pas le droit d’aller vers des structures d’hébergements spécialisés, ils n’ont pas le droit à une allocation temporaire d’attente, mais ils sont sur le territoire. En multipliant les procédures d’exception, vous multipliez les situations de précarité sans rien résoudre au fond.

Et la durée de procédure est très longue. Il y a 21 000 places, mais comme les procédures durent 22 à 23 mois, chaque année, seules 12 000 personnes y accèder. D’où l’intérêt de réduire le temps de procédure en garantissant évidemment le droit des personnes. Par exemple, en accordant un recours suspensif pour toutes personnes en procédures d’exception. (Recours déposé auprès de la Cour nationale des demandeurs d’asile qui a pour effet d’empêcher l’expulsion, tant que celui-ci n’a pas rendu sa décision en appel, après rejet de l’Ofpra, ndlr.)

Transformer les demandeurs d’asile en fraudeurs

L’une des mesures proposées par le ministre de l’Intérieur est de raccourcir à 90 jours le délai raisonnable de demandes.

Entre l’entrée sur le territoire national et le dépôt du dossier, le délai raisonnable sera de 90 jours. C’est souvent très difficile de pouvoir déposer sa demande d’asile, compte tenu des délais pour pouvoir déposer son dossier en préfecture. Mais ce n’est pas ça le plus important. Le plus important est de tenir un tel discours à 6 mois de la présidentielle. Au lieu de s’attaquer aux problèmes et de répondre de manière à consolider l’intérêt général et le respect de la signature par la France de conventions internationales, Claude Guéant s’inscrit dans un schéma de propagande propre à la tradition de son camp depuis près d’un an. Je n’y peux rien c’est comme ça ! C’est quand même incroyable d’aller faire un tel discours à 6 mois de la présidentielle en disant que ça ne marche pas alors qu’ils sont aux manettes depuis 2002 ! C’est ahurissant de transformer les demandeurs d’asile en fraudeurs pour ne pas voir leur propre responsabilité dans la crise de gouvernance et de pilotage du système d’asile en France.

Vous, à France Terre d’Asile, que prônez-vous pour réduire les délais de procédure tout en respectant les droits des individus ?

Je pense qu’il y a plusieurs méthodes. La première est évidemment de faire en sorte que l’Ofpra ait une attitude un peu moins malthusienne. Depuis 12 ans, nous sommes dans une situation étrange où c’est la Cour nationale du droit d’asile, c’est-à-dire l’instance de recours, qui délivre plus de statut que l’instance chargée en premier lieu d’appliquer la convention de Genève. Et s’il s’agissait d’un autre secteur, qui nous intéresse en tant que citoyen, où il faut une fois sur deux aller en appel pour obtenir satisfaction, on dirait qu’il y a quelque qui cloche dans la première instance. Donc il faudrait d’abord faire une révision de la politique de l’Opfra, qui doit tenir le plus grand compte de la jurisprudence et ne pas transformer l’immense majorité des demandeurs d’asile en plaideur. Parce que quand l’Ofpra refuse, évidemment les personnes font un recours. Nous disons que si l’Ofpra tenait le plus grand compte de la jurisprudence dégagée par la Cour nationale du droit d’asile, on gagnerait du temps et de l’argent.

Ensuite, il faut évidemment des moyens pour traiter ces affaires dans un délai raisonnable mais avec une garantie accrue pour les droits des demandeurs. Je suis pour une réduction de la durée de procédure, je pense qu’une durée raisonnable serait d’un an. Parallèlement, on devrait garantir un recours suspensif à tous les demandeurs, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Pour la première fois en 2010, les sommes versées en hébergement d’urgence et en allocations temporaires d’attente étaient supérieures aux coûts du dispositif pérenne, c’est-à-dire aux coûts des centres d’accueil des demandeurs d’asile. C’est donc bien qu’il s’agit d’une volonté politique. Cet argent consacré à l’allocation temporaire d’attente et à l’hébergement d’urgence pourrait très bien être attribué pour la création de nouvelles places. Et le calcul est simple. Les sommes dépensées pour l’hébergement d’urgence et le versement de l’allocation pourraient nous permettre de créer 25 000 places.

Désormais, l’Arménie, la Moldavie, le Bengladesh et le Monténégro sont considérés comme des pays sûrs. Que signifie pour vous cette mesure ?

Concrètement, cette mesure va encore multiplier les mesures d’exception. Les personnes venant de ces pays ne pourront plus avoir accès aux structures d’hébergement, n’auront plus rien et ça ne les dissuadera de rien. Ça multiplie les mesures d’exception, mais c’est tout !