« Le concours », l’impossible sélection

« Le concours », l’impossible sélection

« Le concours », l’impossible sélection

« Le concours », l’impossible sélection

Au cinéma le

La cinéaste Claire Simon pose sa caméra dans l'enceinte de la Fémis, prestigieuse école de cinéma, courtisée chaque année par des centaines d'aspirants réalisateurs, monteurs ou encore techniciens... En dévoilant les différentes épreuves que doivent affronter les potentiels futurs élèves, Le concours interroge autant sur les règles de sélection de l'école que sur la nature du cinéma et les qualités qu'il faut pour faire partie de cette attirante industrie artistique.

En ce jour de première épreuve du concours, ils sont 1250 potentiels étudiants en cinéma à franchir le lourd portail de la Fémis avec dans la tête le rêve de faire de leur passion un métier. Ils pénètrent dans l’enceinte de l’école prestigieuse pour la première, et pour une grande majorité qui l’ignore encore, pour la dernière fois. Chacun rêve de cinéma, de réussite, ou tout simplement d’accomplissement artistique et personnel. Mais que faut-il pour faire un bon réalisateur, un bon technicien du 7ème art ?

Pour dénicher les perles rares, les jurés — tous professionnels du milieu — interrogent les prétendants, confrontent leurs impressions, se disputent parfois pour, au final, ne retenir que 60 heureux élus, leurs héritiers cinématographiques. De l’arrivée des candidats aux délibérations finales des jurés, Le concours explore la confrontation entre deux générations et met en lumière un processus de sélection d’autant plus questionnable qu’il cherche à sélectionner des artistes. Un système de sélection passionnant à observer.

 Le concours © SD distribution

Faire son cinéma

Ce nouveau documentaire de Claire Denis va intéresser toutes celles et tous ceux qui souhaitent travailler dans l’univers très fermé du cinéma et espèrent un jour rentrer à la Fémis, évidemment, mais de façon plus large tout ceux qui aiment le 7ème art. La cinéaste nous dévoile les différentes étapes du concours d’entrée de la Fémis (écrit, oral, épreuve technique de réalisation…), prestigieuse école de cinéma qui attire chaque année plus d’un millier de jeunes venus tenter leur chance. Dépourvue de professeurs permanents, cette école publique fait intervenir des professionnels du milieu — tous corps de métier confondus, du réalisateur au monteur en passant par les techniciens et les distributeurs —  qui viennent prodiguer des conseils et partager leurs expériences avec les élèves. Le même schéma est mis en place pour le processus de sélection qui est montré dans le film : les prétendants doivent convaincre ces professionnels du milieu qui seront, demain, à même d’être à leur place, d’inventer le cinéma à venir.

À la fois du côté du candidat et du jury, Claire Denis — qui a été directrice du département réalisation de l’école — pose un regardant bienveillant sur ces jeunes dans la vingtaine pleins d’espoir et les membres du jury qui font passer les entretiens. On s’identifie sans problème autant aux jurés qui tentent d’imposer leurs opinions sur un candidat à leurs collègues qu’à la place moins enviable de ces aspirants cinéastes — certains touchants, d’autres étrangement décalés — qui rêvent d’intégrer l’école. Cinéastes, scénaristes, producteurs, techniciens… tous souhaitent entrer dans la grande — en réalité très réduite — famille du cinéma. Mais que faut-il pour être accepté et reconnu dans cette formidable fabrique à histoires ? Que doivent évaluer les jurés pendant ce concours : un savoir, des prédispositions, un talent flagrant, une promesse ou une personnalité ? En posant sa caméra dans ces salles d’examens, la cinéaste pose en creux la question de la compétence des jurés et de toute personne amenée à juger un artiste. On peut à la limite estimer qu’il est possible d’établir une grille d’évaluation pour un technicien mais qu’en est-il pour un cinéaste ou un scénariste ? En creux, Claire Simon pose la question du jugement d’un art qui est par définition subjectif. Et pour éviter de dénaturer son autopsie du système de sélection de la Fémis, la réalisatrice prend soin de ne pas s’attacher à une personne particulière. Même si on reconnaît quelques visages à la fin du film parmi les heureux sélectionnés, on ne sait pas qui passe d’une épreuve à l’autre. C’est avant tout le système de sélection qui est décortiqué et exposé avec ses faiblesses et ses contradictions, ce qui rend le film si intéressant.

 Le concours © SD distribution

De la cruelle subjectivité des critères humains

Qui mérite d’entrer à la Fémis ? C’est à cette difficile question que doivent répondre les professionnels qui se réunissent chaque année lors des épreuves du concours. Les échanges et les débats — souvent passionnés — entre les membres du jury qui jugent le plus souvent la personnalité des candidats que leur savoir donnent une idée de l’étendue de la difficulté à faire émerger parmi plus d’un millier de candidats, 60 futurs élèves. On découvre ainsi, au fil des épreuves, une grille de notation très variable qui change selon les professionnels, et comment pourrait-il en être autrement ? Parmi les questions qui reviennent : le candidat a-t-il « besoin » de l’école ou non ? Vaste dilemme qui va briser les rêves de certains et qui interroge. Certains jeunes seraient tellement talentueux qu’ils n’auraient pas besoin de l’école, qu’ils arriveront malgré un refus à tracer leur route dans le milieu. Un raisonnement qui appelle esquisser ce que doit être l’élève type de la Fémis.

Ce profil type les jurés tentent de ne surtout pas l’établir, de garder l’esprit ouvert pour ne surtout pas exclure de l’école des profils atypiques. Et pourtant, il suffit de voir la photo souvenir des jeunes retenus pour remarquer qu’une certaine reproduction sociale est bien présente. Parmi les profils retenus, peu de jeunes de milieu pauvre ou encore « de couleurs ». Sans que cela soit voulu — et bien heureusement — on peut se questionner sur la mécanique qui entraîne une telle absence de diversité. En écho de la réalité dénoncée par le mouvement « Oscars so white » lors de la cérémonie ultime du cinéma l’année dernière aux Etats-Unis, le système de sélection mériterait également d’être bousculé de ce côté-ci de l’Atlantique. Plus ou moins inconsciemment, les jurés jugent sur la culture et le milieu social et lors des épreuves les candidats moins à l’aise à l’oral en pâtissent fatalement. La volonté égalitaire existe pourtant, on l’entend s’exprimer à travers la voix d’une jurée qui s’interroge sur l’utilité d’imposer des quotas. Mais, mis à part la parité femme / homme qui est bien présente au final, rien n’y fait : la sélection semble valider une sélection qui reproduit un système qui fonctionne — à quelques exceptions près — en vase clos. La réponse est probablement à chercher dans la volonté inconsciente des jurés qui se projettent dans les candidats et cherchent de fait à reproduire leur histoire. Sur ce point, le documentaire rappelle également l’importance du facteur chance dans cette sélection impitoyable, selon les jurés un candidat peut séduire ou faire l’unanimité contre lui. Mais il serait injuste d’oublier que l’école n’a pas inventé cette sélection qui peine à s’ouvrir réellement à tous et partage ce travers avec le reste de la société.

Prix du meilleur documentaire cinéma à la biennale de Venise 2016, Le concours pose en creux la question de la définition impalpable du cinéma et des qualités — forcément différentes selon chacun — qu’il faut posséder pour réussir dans le milieu. En suivant le parcours de ces aspirants professionnels du 7ème art, Claire Denis démontre qu’aucune règle ne pourrait expliquer les mystères de cette sélection et que le cinéma est une matière qui échappe aux règles, conservant ainsi toute sa magie subjective.

Le concours, réalisé par Claire Simon, France, 2016 (1h59)

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