Cols blancs et uppercuts

Cols blancs et uppercuts

Cols blancs et uppercuts

Cols blancs et uppercuts

24 janvier 2011

Le jour, ils sont banquiers, avocats ou traders dans le centre des affaires de Londres. La nuit, ils montent sur le ring pour se défouler et digérer leur stress. La "white collar boxing" est un sport à part entière en Angleterre. Qui n'est pas sans rappeler le film Fight Club.

La City, centre des affaires de la capitale britannique, est depuis peu en proie à un étrange phénomène : les combats de cols blancs. On les appelle les white collars (cols blancs), en référence aux costumes trois pièces propres aux hommes d’affaires et en opposition aux blue collars (cols bleus), typiques des ouvriers. Les cols blancs sont banquiers, avocats, traders, informaticiens. Le jour, ils gravitent autour du cœur financier londonien. La nuit, ils montent sur le ring pour évacuer la pression ou, assouvir des rêves d’adolescents emprisonnés trop jeunes dans leur complet-veston. L’avantage de cette discipline est d’apporter un excellent entraînement physique, une bonne dose d’adrénaline et d’esprit de compétition. Entre Wall Street et Fight Club, voici une discipline qui a du punch.

En 2007, Margaret Pope ouvre son centre d’entraînement et de remise en forme, le Body Studio, à deux pas du quartier des affaires. En plus du fitness et du yoga, on peut y apprendre les arts martiaux et bien sûr la boxe. Margaret a compris l’évolution de cette dernière discipline. « Nous organisons des Nuits "White Collar", ici, dans le club. » Un ring trône au fond de la salle, témoin de nombreux coups d’éclats. « Tout le monde ne participe pas aux nuits, explique Mickey Cunningham, entraîneur au Body Studio. Il faut le vouloir, mais en général tout le monde peut le faire. Il s’agit juste d’accorder les niveaux des participants. »

Les White Collar Nights s’adressent à celles et ceux qui sont trop âgés pour participer à des compétitions. A 34 ans, Diego, white collar boxer depuis trois ans, ne pourrait même pas prétendre à des titres amateurs. « Je suis bien trop vieux, explique-t-il, en attendant de monter sur le ring pour son entraînement. La plupart des boxers amateurs atteignent leur limite à 31 ou 32 ans maximum. » Strictement standardisée par les règles des associations qui la représentent, la boxe amateur est une discipline olympique, tandis que la white collar boxing est la consécration d’un entraînement de fitness au milieu d’un ring, lors d’une nuit. L’avantage, c’est légal et monsieur-tout-le-monde peut enfin cogner en toute impunité. La sécurité est néanmoins importante car les clubs qui organisent ces nuits veulent éviter les drames. Or, ce loisir n’est pas sans dangers.

Mickey est entraîneur depuis six ans, il boxe depuis qu’il en a 7. Il a débuté avec un prêtre pour professeur. Expert et passionné, il n’a aucun mal à transmettre sa passion. Diego et Mickey commencent l’entraînement. Après quelques minutes d’échauffement (course à pied, corde à sauter et pompes), maître et élève montent sur le ring et commencent à réviser les mouvements techniques. Cela ressemble presque à une danse : un rythme à respecter, deux boxers et des mouvements méticuleux. Puis, casques et protège-dents entrent en scène pour un combat improvisé. Les deux hommes se bandent les poignets pour avoir un meilleur soutien, avant de régler le timer et d’enfiler leurs gants. Comme pour une nuit White Collar, ils boxent pendant trois rounds de deux minutes. « Les rounds semblent courts, mais quand vous êtes là-bas au milieu, cela paraît interminable », précise Mickey. Diego est maintenant un habitué de la boxe et des nuits White Collar. Les coups ne lui font plus peur et ce n’est pas sans fierté qu’il parle de ses blessures de guerre : « j’ai eu le nez en sang, des yeux au beurre noir et des bleus sur tout le corps à plusieurs reprises », dit-il en souriant. Diego rit beaucoup. Malgré ses dangers, la boxe lui va bien. Il semble épanoui et heureux.

Au travail, il passe beaucoup de temps devant un écran d’ordinateur : « ça me déprime d’être assis à un bureau. » C’est donc pour égayer son quotidien qu’il s’est tourné vers la boxe. Au bureau, ses collègues sont habitués : s’il arrive un matin avec un cocard, ce n’est pas parce qu’il a écumé les bars de la ville en quête d’une mauvaise baston, mais parce qu’il a performé sur le ring. « D’ailleurs, j’ai gagné beaucoup de respect de la part de mes collègues pour faire ce que je fais », explique Diego. Il insiste, la boxe n’a jamais eu d’effets négatif dans sa vie. « J’ai une hygiène de vie plus saine que certaines personnes. Au bureau ils sont tous dépendants au sucre, c’est important d’avoir une activité à côté

Boxer plutôt que ramer

Selon Mickey, la boxe a de nombreux bénéfices qui lui valent une popularité grandissante. Les bienfaits physiques sont évidents : « c’est un excellent exercice. Vous faites travailler toutes les parties de votre corps et surtout, c’est un bon moyen de défense ». De plus, le changement par rapport aux rameurs et autres machines de torture des salles de gym est libérateur. « Courir sur un tapis roulant, ramer sans but, face à un miroir ou en regardant de la mauvaise télévision, n’a rien d’excitant », affirme-t-il en sautillant. Il trouve une position, valse d’avant en arrière et lance deux trois punchs. « D’abord les jambes, ensuite les abdos et enfin les bras. Puis, il vous faut coordonner le tout. » La discipline est plus difficile qu’elle en à l’air, et il faut des heures de pratique pour acquérir la technique nécessaire pour un combat. « Avant de monter sur le ring, il faut au moins quatre mois d’entraînement assidu. » Diego, lui, s’entraine jusqu’à quatre fois pas semaine. Sa première nuit de white collar boxing, il s’en souvient. « J’étais vraiment très nerveux car je ne savais pas ce que mon adversaire allait faire, ni s’il était plus fort que moi. Et avec les personnes autour, la pression est encore plus grande. Mais quand ça commence, tu te concentres, tu oublies tout et tu ne vois même plus la foule ».


Ce soir, Diego n’est pas sur le ring, mais plusieurs hommes et femmes vont s’affronter. Ils ont fini leur journée de travail et rameuté les foules, souvent des amis et de la famille. Un homme baraqué fait la sécurité et récolte les cinq livres (environ 5,90 euros) : un laisser passer. Le Body Studio est rempli de spectateurs, venus encourager les participants. Deux hommes se font face en attendant que l’arbitre improvisé ne les annonce. C’est parti pour trois rounds de deux minutes. La foule s’enthousiasme un peu plus à chaque coup. Le combat semble durer plus longtemps, même pour ceux qui ne sont pas sur le ring. L’un deux est emprisonné dans un coin tandis que l’autre le boxe sans pitié. Les participants dansent sur le ring mais la violence est palpable et les dangers paraissent plus réels. « Tous les sports sont dangereux, souligne Mickey. L’important c’est d’apprendre correctement pour éviter de se faire mal. » Ironiquement, le but de ce sport est de se faire mal, il faut juste bien le faire. Pourquoi ne pas se contenter des cours et de la pratique sans prendre le risque d’être défiguré ? Selon Diego, « ça change tout quand il y a des personnes autour du ring qui regardent et encouragent. C’est vibrant ! » Diego parle de sa passion avec une étincelle dans les yeux qui ne trompe pas. L’issue du combat ne couronne pas de vainqueur ; les applaudissements retentissent, comme pour récompenser des heures d’entraînement, avec à la clé, la fierté d’avoir combattu et la reconnaissance du public.


En 1996, Chuck Palahniuk publiait Fight Club, un roman relatant l’histoire d’un homme fatigué de son quotidien, qui décide de créer un club de combats clandestins où de jeunes cadres dynamiques viennent évacuer leur frustration quotidienne. Si l’idée paraissait presque invraisemblable à l’époque, elle semble précurseur aujourd’hui. La différence ? Les jeunes cadres ne sont pas dans l’ombre et ils ont une bonne excuse pour se taper dessus. La white collar boxing est aujourd’hui considérée comme un sport à part entière. La liste de ses membres ne cesse de grandir. Et derrière chaque col blanc peut se cacher un véritable bagarreur.