Le bus de la RATP qui reloge les SDF du métro

Le bus de la RATP qui reloge les SDF du métro

Le bus de la RATP qui reloge les SDF du métro

Le bus de la RATP qui reloge les SDF du métro

11 décembre 2012

à bord d'un bus spécial, l'équipe "grande nuit" du recueil social de la RATP part à la rencontre des SDF du métro. Ces anciens contrôleurs reconvertis dans le social leur proposent un peu de chaleur humaine. Et pour les chanceux, un lit pour la nuit.

Cet article a initialement été publié sur StreetPress le 7 décembre 2012. 

22h à Aubervilliers. L’heure où les bus, vidés de tous leurs passagers, rentrent au bercail. L’heure aussi où l’équipe "grande nuit" du recueil social de la RATP prépare sa tournée. Chaque nuit, les équipes de la RATP passent dans plusieurs stations de métro – qui diffèrent d’un jour à l’autre – pour proposer un hébergement aux SDF qui se terrent dans le métro parisien. Leur mission n’est pas de les en déloger, mais d’emmener les volontaires dans un centre d’accueil de Nanterre. Et ils sont très nombreux : en 2011, 141.834 personnes (de jour comme de nuit) ont été prises en charge.

Vingt places sont réservées pour passer la nuit au centre d’accueil de Nanterre. Pas une de plus, pas une de moins. C’est peu. « En une station de métro, on peut remplir le bus si on le veut. Mais il faut faire des choix, malheureusement », explique Julien, le vieux briscard de l’équipe que nous suivons ce soir-là. 12 ans qu’il est au recueil social. Quand les vingt places sont prises dans le bus, ceux qui restent à quai passent la nuit dans le métro. Ou dans le bus s’ils le souhaitent, en attendant que l’équipe du matin les emmène prendre le petit déj’ dans un centre d’accueil de jour de la région parisienne, à 6h.

Jésus, l’habitué

À 22h, la nuit débute à peine, elle promet d’être longue. Dans la salle de repos où l’équipe de la RATP (tous sont d’anciens agents de maîtrise ou des contrôleurs, reconvertis dans le travail social) se prépare, l’ambiance est détendue. Les employés se chambrent, font des vannes, le temps d’un café. On croirait presque voir une équipe de foot qui se prépare dans le vestiaire. Même uniforme beige fièrement estampillé d’un écusson, et grosses chaussures type rangers. Reynald Jumentier, coach adjoint de cette équipe de quatre joyeux gaillards, briefe les troupes : « Ce soir, priorité à Crimée et Pyrénées. » Au mur, trônent des photos de famille des SDF habitués. « Ça c’est Jésus, un de nos premiers habitués. »

Le bus de la RATP | Photo Gurvan Kristanadjaja

Quelques minutes plus tard, les voilà qui montent à bord de leur "bus magique". L’intérieur est spécialement aménagé, avec le tiers-avant pour les employés, et le reste pour les SDF. En guise de séparation, une vitre. « C’est seulement pour éviter qu’ils aillent embêter le conducteur. Dès qu’on est arrêtés, on va discuter avec eux », raconte Julien, la trentaine bien sonnée. À bord du bus, l’ambiance est joyeuse. Julien perce la bouteille d’eau d’un de ses collègues et on frôle la bataille d’eau. « C’est tous les soirs comme ça, l’important est de savoir décompresser », raconte David, le chauffeur.

Désocialisation

Le bus s’arrête à Crimée et deux "clients", comme ils sont appelés au recueil social, se présentent à la porte du bus. Ce sont des habitués. Deux hommes de type indien, propres sur eux. Ils grimpent et sont pris en charge par deux employés du recueil. Soupe chaude ou café, c’est au choix. Julien et Patrice, eux, partent explorer les souterrains du métro.

Quand ils descendent sur le quai, sept personnes les reconnaissent et s’empressent de ramasser leurs lits de fortune. Ils sont privilégiés et ils le savent. Vingt places, rappelons-le, sont réservées. Les deux employés du recueil social saluent chaleureusement le groupe de SDF. Embrassades et attentions particulières, pour ces habitués du bus. « Le métro favorise beaucoup le processus de désocialisation : la même odeur, la même lumière, et aucune notion de l’heure. Certains ne savent même plus si c’est le jour ou la nuit dehors », explique Patrice, ancien agent de maîtrise reconverti, la cinquantaine, les cheveux grisonnants et un sourire rassurant.

De retour dans le bus, l’ambiance est plutôt chaleureuse. Les employés sont aux petits soins, connaissent les habitudes des SDF. Plutôt café pour certains, plutôt soupe pour d’autres. Ils se soucient aussi de l’état de santé physique et moral de leurs "clients". Les SDF ont beaucoup de choses à raconter, à partager sur leur quotidien, sur leur passé. Beaucoup n’ont l’air d’être que l’ombre de leur passé raté, emprunts à une très forte nostalgie. Monsieur Diakaté, né en 1943 au Mali, sirote sa soupe. Il ne boit pas une goutte d’alcool. À la rue depuis 1994, il se confie, les yeux mouillés : « Si quelqu’un entre dans le métro, il n’en sort plus. Ça devient sa résidence secondaire ou un machin comme ça. Beaucoup m’envient de pouvoir fréquenter souvent ce bus qui n’emmène à Nanterre. Tout y est gratuit, on est au chaud, on mange gratuitement, on dort gratuitement. C’est ça le prestige français. »

L’homme, recroquevillé sur son siège, est emmitouflé dans trois chemises en jean et un K-way mauve. Lucide, il ajoute : « Bien sûr, il ne faut pas se leurrer, la RATP fait ça pour son image de marque, sa notoriété. Ils ne peuvent pas se permettre de laisser tous les SDF dormir sur le quai des stations. Mais on a quand même de la chance. Moi j’ai longtemps fréquenté des foyers africains, mais j’ai des papiers français. Alors c’était très difficile d’y trouver une place, ils privilégient un peu ceux qui sont sans papiers. Ici c’est beaucoup plus simple, on a des places réservées. » Il déboutonne ses trois chemises et sort de sa poche, fièrement, sa carte d’identité. À peine la discussion terminée, il se recroqueville dans son col de K-way et s’endort silencieusement.

À sa droite, deux hommes, la quarantaine, s’ouvrent une bouteille de mousseux. Adossés à la vitre du bus, ils ont l’air de refaire le monde dans un français approximatif, les yeux pétillants, observant les lampadaires défiler et les kilomètres s’enchaîner. Le bouchon saute et de l’alcool s’écoule sur le sol. Ils s’empressent d’aller demander du papier pour nettoyer. Ici, la seule règle est le respect. Respect d’autrui et du matériel.

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