Au festival du cinéma hors norme

Au festival du cinéma hors norme

Au festival du cinéma hors norme

Au festival du cinéma hors norme

Au cinéma le

Début avril avait lieu à Brive la 10e édition des Rencontres européennes du moyen métrage. Entre deux prestations de DJ amateur, notre envoyé spécial a trouvé le temps de voir (et, le plus souvent, d'apprécier) quelques films de 30 à 59 minutes, dessinant une carte alternative du cinéma français et européen.

Vendredi

Arrivé à 20 h à Brive, je pose ma valise à l’hôtel et fonce au Rex, le cinéma de la ville où ont lieu toutes les projections. Les films au plus fort potentiel sont généralement diffusés aux séances du soir le week-end, et la salle est quasiment pleine quand j’y entre, en plein milieu du premier des deux moyens métrages. Retenir les ciels (joli titre) de Clara et Laura Laperrousaz a été tourné l’été dernier, dans les Cévennes et sur le plateau du Larzac, et c’est une bonne chose : la salle est ainsi suffisamment éclairée pour que je puisse trouver une place sans trop tâtonner.

Retenir les ciels de Clara et Laura Laperrousaz

Cette beauté brute des paysages, cette sensualité solaire contrastent avec l’angoisse du personnage principal, Iris (Lolita Chammah), une jeune femme enceinte de son deuxième enfant et qui craint de perdre sa petite fille de 4 ans (pour des raisons qu’on apprendra peu à peu). Va-t-elle l’abandonner ? Si j’ai un peu de mal à être touché par son dilemme, je suis en revanche séduit par le sens de l’espace dont font preuve les deux sœurs, et par leur direction d’acteurs, dont témoigne le jeu extrêmement naturel de la très jeune comédienne.

Suit Artémis, coeur d’artichaut de Hubert Viel (réalisateur mais aussi compositeur de la musique), qu’on m’avait conseillé de ne pas rater. Un film tourné en 8 mm noir et blanc (!), son direct plus ou moins audible (d’après le réalisateur, ce fut un enfer de le synchroniser avec les images…), bref, avec trois bouts de ficelle et en toute indépendance. Il transpose à notre époque, à Rouen, la mythologie grecque : Artémis, déesse de la chasse, est devenue une étudiante en lettres solitaire, que son amie Kalie Steau (= la nymphe Callisto, bien sûr) entraîne dans des aventures loufoques.

Artémis, coeur d'artichaut de Hubert Viel.

On pense à une version débraillée de Quatre aventures de Reinette et Mirabelle de Rohmer ou de Vénus et Fleur d’Emmanuel Mouret. Un peu aux premiers Jarmusch, aussi. Ce film parfaitement imparfait, belle tentative de réenchanter le réel, obtiendra le prix Ciné +, celui du jury de spectateurs, et le Grand prix France. Surtout, il devrait sortir en salle prochainement.

La soirée n’est pas terminée : après le dîner dans l’un des restaurants partenaires, je fonce à l’Entracte, le bar du Théâtre de Brive, nouveau lieu qui accueille les “after” du festival. Un DJ est déjà là : comme il a à peu près tous les tubes de ces cinquante dernières années dans son ordinateur portable, je peux me faire plaisir en passant en CD (so old school…) de la soul seventies, type Curtis Mayfield ou O’Jays. Avantage : les morceaux durent 7 ou 8 minutes, ce qui laisse le temps de descendre tranquillement sa pinte.

Samedi

Je fais l’effort de me lever relativement tôt pour assister au Rex à une nouveauté : une séance de pitchs où une dizaine de réalisateurs vont tenter de vendre leur idée de moyen métrage à des personnes susceptibles de les financer. Parmi eux, quelques connaissances. Aurélien Deschamps, comédien et réalisateur dont j’avais beaucoup aimé le Portrait d’un amoureux il y a deux ans, semble vouloir poursuivre dans la même veine d’un comique inscrit dans le quotidien. Il termine sa présentation en chantant (en s’accompagnant à la guitare) un morceau de Petula Clark. Voilà qui promet.

Nettement plus sobre, et dans un tout autre genre musical, Eric Pellet, un vieux camarade de fac passé par Le Fresnoy, tente d’expliquer son projet, entre documentaire de création et film de danse, autour de l’interprétation de Kathleen Ferrier dans “Orphée et Eurydice” de Gluck. Pour une diffusion télé, je ne vois guère que “La Lucarne” sur Arte… C’est en tout cas l’occasion de rappeler que les Rencontres de Brive montrent chaque année en compétition des films à la limite de l’expérimental (même s’ils n’étaient pas très nombreux cette fois-ci).

Pour sa 10e édition, le festival présentait aussi une petite rétrospective des films les plus marquants des précédentes compétitions. Je découvre ainsi La Main sur la gueule d’Arthur Harari, dont on m’avait beaucoup parlé. C’était mérité : le film est très fort, âpre comme du Pialat, au plus près de l’humain. Plus tard dans la journée, je reverrai avec grand plaisir Un monde sans femmes de Guillaume Brac (en train de monter son premier long-métrage, avec Bernard Menez et Vincent Macaigne) et Vilaine fille, mauvais garçon de Justine Triet (également en post-production de son premier long : de quoi donner de l’espoir pour la suite à tous ceux qui présentaient leur premier moyen métrage cette année).

Si la rétrospective des premiers films de Lubitsch est tentante, je préfère quand même me concentrer sur la compétition. Korsoteoria (So It Goes) est un film finlandais dont l’humour à froid rappelle forcément Ari Kaurismäki, en plus trash et contemporain quand même. Pour un “film d’école”, c’est plutôt abouti, même si la fin abrupte est un peu frustrante : on regrette que le réalisateur n’ait pas eu un quart d’heure de plus. Espérons qu'il s'épanouira davantage dans son premier long, qu'il est lui aussi en train d’écrire.

Those for Whom It’s Always Complicated, d’une jeune réalisatrice française et cosmopolite nommée Husson, dure 55 minutes mais aurait peut-être pu être plus court. Tournée en cinq jours dans la Vallée de la mort, avec trois acteurs, le film présente éventuellement  un intérêt sociologique, à la façon de la série “Girls” (les difficultés existentielles toutes relatives des trentenaires américains middle-class branchés), mais ne va guère plus loin, même s’il faut reconnaître que Husson sait filmer.

Those for whom is always complicated de Husson

En voyant One Song, de l’Autrichienne Catalina Molina, on ne se doutait pas vraiment qu’il décrocherait le Grand prix. Non que ce film (racontant le quotidien d’un manutentionnaire chanteur d’un groupe de reggae, confronté au retour de la mère de sa fille) soit mauvais, loin de là, mais de la part d’un jury présidé par l’iconoclaste Benoît Forgeard, on attendait un peu plus d’audace. L’audace, Virgil Vernier, né en 1976, n’en manque pas. Orléans, à la lisière de la fiction et du documentaire, plonge deux danseuses d’un club de strip-tease en pleines Fêtes de Jeanne d’Arc, lors desquelles une jeune fille de la ville incarne la célèbre Pucelle dans les défilés.

Orleans de Virgil Vernier

On ne comprend pas toujours très bien où Vernier (qui écrit actuellement son premier long de fiction) veut en venir, mais son film, loin d’une provoc facile, distille une étrange poésie tout en coq-à-l’âne. C’est aussi la révélation d’une jeune actrice, Andréa Brusque, jusqu’ici surtout comédienne et metteuse en scène au théâtre. Orléans, qui dure près d’une heure, sort en salles le 1er mai.

Le soir, trois films se partagent la séance de 20 h. Le premier est Pour la France de Shanti Masud (déjà en compétition les années précédentes, actrice dans “La Main sur la gueule” vu un peu plus tôt, elle fait également une petite apparition, en compagnie d’autres acteurs et réalisateurs, dans l’amusante bande-annonce des dix ans de Brive, diffusée avant les films). Un conte nocturne en noir et blanc, où se croisent par hasard quelques personnages beaux et mystérieux, anciens amants ou compagnons de passage. Le film, qui plaît beaucoup à la plupart de mes confrères et néanmoins amis, ne manque pas de grâce, mais ne parvient pas vraiment à me captiver.

POUR LA FRANCE de Shanti Masud

Le lendemain au déjeuner, le très pince-sans-rire Yann Le Quellec nous dira regretter d’avoir intitulé son film (discrètement sorti en salles l'année dernière) Je sens le beat qui monte en moi. On le comprend, et pourtant la phrase résume idéalement sa comédie où la danse et la musique tiennent les premiers rôles. Héritier de Keaton, Tati, Pierre Etaix ou Bruno Podalydès, il y orchestre à Poitiers la rencontre entre Alain, un fan de musique Northern soul (le réalisateur Serge Bozon, dont on connaît le goût pour ces sons vintage), et une jeune guide touristique souffrant d’une étrange affection : dès qu’elle entend de la musique, son corps se met en mouvement de façon incontrôlée.

Je sens le beat qui monte en moi de Yann Le Quellec

Cette idée de burlesque corporel n’aurait sans doute pas tenu sur un long-métrage, mais en une demi-heure elle est parfaitement exploitée. Le film repartira, sans grande surprise, avec le prix du public. Le Quellec présentera cette année à Cannes un court, avec là encore un titre curieux : “Le Quepa sur la vilni !” Un garçon à suivre.

Dans un style plus classique, Avant que de tout perdre de Xavier Legrand aura rivé les spectateurs à leur siège. Réfugiée dans le supermarché où elle est employée, une femme battue (Léa Drucker) tente de fuir son mari avec ses enfants. Un modèle d’intensité dramatique, déjà remarqué au festival de Clermont-Ferrand.

Avant que de tout perdre, de Xavier Legrand.

Au dîner, je retrouve deux collègues en grande discussion avec une jeune réalistrice allemande… dont je n’ai malheureusement pas vu le film. L’éternel problème des festivals qu’on prend en cours. Puis de nouveau l’Entracte, où je mixe seul cette fois-ci. L’immortel “Nuit de folie” de Début de soirée m’accueille et je sens que ça va être dur. Des jeunes gens visiblement nés dans les années 90 me demandent “des trucs des années 80 qui bougent, genre Trois nuits par semaine”… Aïe. Madonna, ça vous ira ? Heureusement, les festivaliers commencent à rappliquer et sur le coup des 1 h 40, j’arrive même à les faire danser sur les Pixies et les Breeders. Malheureusement, le bar ferme à 2 h pétantes. La suite se passe à l’hôtel Le Quercy, de l’autre côté de la place. Comme on ne sait jamais trop à quelle heure et dans quel état cela va se terminer, je préfère rentrer me coucher.

Dimanche

C’est fini pour les films en compétition, mais les autres sections présentent des choses intéressantes. Notamment le panorama “Jeune cinéma anglais”, principalement constitué de documentaires de création très peu diffusés. Dans This film is meant to be about Stokely Carmichael, Isis Thompson s’interroge sur son identité noire en se mettant elle-même en scène : elle constate qu'elle ne sort qu’avec des Blancs, n’aime pas particulièrement le rap, ni les films de Blaxploitation… Une façon aussi drôle qu’intelligente de dépasser les clichés.

Enfin, l’une des réjouissances de cette 10e édition aura été la diffusion… d’une émission de télé ! De variétés, qui plus est ! Mais pas n’importe laquelle. Présentée par Benoît Forgeard (président du jury cette année) et Bertrand Burgalat (président d’une édition précédente), “La Nuit bisexuelle” était passée fin janvier sur Paris Première.

Filmée au Palais de la Découverte et aux studios Ferber, elle rassemblait plusieurs musiciens dont Daniel Darc, dont ce fut hélas la dernière apparition télévisée. Benoît Forgeard lui dédia d’ailleurs la projection de cet ovni. Qui avait tout à fait sa place dans un festival montrant depuis ses débuts un cinéma souvent hors norme, ne serait-ce que par la durée et les petits budgets des films. Rendez-vous dans dix ans !

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