Au cœur de la propagande chinoise

Au cœur de la propagande chinoise

Au cœur de la propagande chinoise

Au cœur de la propagande chinoise

9 février 2011

Anne Soëtemondt, journaliste française indépendante, 27 ans, a choisi de travailler pendant une année dans un média chinois, un média d'Etat. Embauchée comme « experte » au service français de Radio Chine Internationale, elle corrige les dépêches traduites du chinois et anime des programmes de radio. A son retour en France, en août 2010, elle décide de réunir ses souvenirs et d'en faire un livre de témoignage, "J'ai travaillé pour la propagande chinoise", sorti fin janvier.
Voici le récit de son expérience vécue lors du séisme en Haïti, survenu en janvier 2010. Un extrait du chapitre intitulé "Alerte à Malibu".

Le séisme qui a secoué la province chinoise du Qinghai en avril 2010, comme le terrible tremblement de terre en Haïti, en janvier, est traité par les médias du monde entier comme des faits divers. Quand on couvre une catastrophe naturelle, on diversifie les traitements : des histoires de victimes, les difficultés rencontrées par les secours, les problèmes de financement de la reconstruction, la lutte contre les épidémies, l’enquête sur les responsabilités. Pas en Chine.

Janvier 2010. Les journaux, chaînes et antennes du monde entier ne parlent que du tremblement de terre en Haïti. Quelques heures à peine après les secousses, des chiffres sidérants commencent à circuler. Des dizaines de milliers de morts, peut-être cent mille. Sur les chaînes internationales, on essaie d’établir des connexions avec l’île, on cherche des survivants, on fait partir des équipes. Les premiers directs fleurissent, des interviews par téléphone. Nous ? Rien.

Comme d’habitude, on entend les mouches voler dans le service, sauf quand un portable sonne. C’est alors la dernière chanson à la mode qui résonne au onzième étage de la tour. La structure de notre média veut ça. Nous sommes tributaires du centre d’information chinois, il répartit les dépêches et les sons aux différents services. C’est le centre névralgique de RCI : un service qui traite l’information, monte des reportages, prépare du matériel rédactionnel pour alimenter les émissions et journaux de tous les services. Il ne reste plus qu’à traduire.

Pour préparer les journaux de ce 13 janvier, nous devons donc attendre que les dépêches nous arrivent du centre d’information. La rapidité ne fait de toute façon pas partie de la culture maison. […]

À RCI, on ne confond pas urgent et important. Le séisme en Haïti ne justifiait pas qu’on bouleverse l’organisation du travail. Le lendemain des secousses, il est toujours difficile d’avoir des contacts directs avec l’île et beaucoup de familles tentent désespérément d’avoir des nouvelles. Les connexions téléphoniques et satellitaires sont endommagées. Nous recevons du centre d’information le témoignage de la porte-parole du centre de secours chinois, qui a envoyé une équipe.

En Chine, les ministres et autres officiels s’expriment rarement directement, les interlocuteurs sont les porte-parole. Le témoignage de cette femme est précieux, il nous faut donc un doublage et je suis la seule voix féminine. Après une pause déjeuner de deux heures, et une bonne heure de tergiversation, on me donne enfin la traduction en français. Jamais on ne verrait cela dans une rédaction en France.

À moi d’aller l’enregistrer au studio du quatorzième étage, on ne me presse pas, il faudrait simplement que je l’aie fait « avant ce soir ». J’y vais directement, mais on ne m’aurait rien reproché si j’avais d’abord terminé de corriger le script d’une émission à enregistrer dans quinze jours. Effarant. […]

La performance des équipes de secours chinois mise en avant,
plutôt que les dizaines de milliers de morts

Le séisme me permet de découvrir une nouvelle facette de la propagande chinoise : même les catastrophes peuvent servir le régime. En l’occurrence, à redorer la réputation des équipes de secours chinoises, notamment après le fiasco d’un précédent séisme, celui de Wenchuan, dans le Sichuan, le 12 mai 2008. […]

[L’] image [du gouvernement] est terriblement ternie dans l’opinion chinoise. Haïti offre l’occasion de se refaire. Aucune pudeur de la part des autorités, malgré un drame qui a fait des dizaines de milliers de morts, elles le récupèrent à leur profit. Objectif : montrer, montrer et montrer encore combien les équipes de secours chinois sont performantes et à la pointe de la technologie. On se congratule, on se félicite.

Plusieurs fois par jour, je corrige des nouvelles décrivant la formidable réactivité de l’équipe chinoise de secours international. Extrait : « Haïti a subi un puissant tremblement de terre. L’équipe chinoise de secours international était sur place 24 heures après. Elle a immédiatement commencé les opérations de secours, signe d’une capacité de réaction rapide et en progrès. […] Le tremblement de terre qui s’est produit à Wenchuan a marqué le développement rapide du système national de secours en cas de cataclysme. […] Mi-novembre 2009, l’équipe chinoise de secours international a passé avec succès les épreuves d’évaluation onusienne. Elle est devenue la douzième équipe mondiale du genre, la deuxième en Asie. »

RCI n’est pas la seule à traiter l’information de cette manière. L’agence de presse Chine Nouvelle participe à la même opération de communication, via ses dépêches. CCTV en fait également ses choux gras. Même scénario pour le séisme dans le Qinghai. Les destructions sont immenses, les zones touchées difficiles d’accès. Quelques heures après la secousse, les journalistes étrangers sont interdits d’accès, la CCTV est là. Elle fournit donc au monde entier des images : secouristes, chiens renifleurs.

Quelques jours après, on verra même le Premier ministre, Wen Jiabao, prêter main forte aux secouristes, la pelle à la main. Dans la section, ce document est affiché au mur. Les collègues chinois y notent le nombre de dépêches quotidiennes consacrées à Shanghai. On en a assez fait sur les secouristes, attelons-nous à la promotion de l’Exposition universelle.

 

J’ai travaillé pour la propagande chinoise, Anne Soëtemondt, éditions du Moment, janvier 2011.

Encore ?