Au chevet des hommes

Au chevet des hommes

Au chevet des hommes

Au chevet des hommes

24 novembre 2010

Auteure du blog à succès Sexactu, Maïa Mazaurette dissèque chaque jour notre sexualité. Féministe chevronnée et coscénariste de Péchés Mignons, elle aime bousculer les schémas traditionnels.

Maïa Mazaurette et Arthur de Pins | Photo Fluide.G

Au sujet de Péchés Mignons, vous avez évoqué « un manifeste politique transgénérationnnel » ?

Je pense qu’outre l’aspect comique de Péchés Mignons, Arthur (Arthur de Pins, coauteur et dessinateur de Péchés Mignons, ndlr) a aussi des choses à dire. Le personnage d’Arthur (Arthur et Clara, héros de Péchés Mignons, ndlr) se questionne sur la place des hommes, celle qu’ils doivent retrouver dans une société post-féministe. Et les filles se retrouvent en haut de la pyramide de la séduction. Elles ont presque tous les pouvoirs. L’expression « manifeste politique » est sans doute un peu abusée mais Péchés Mignons n’est pas si léger qu’il en a l’air. On réfléchit vraiment à ce qu’on raconte.

Comment les hommes et femmes gèrent-ils cette nouvelle donne, selon vous ?

J’ai l’impression que les femmes sont sereines avec ce pouvoir. Mais je pense que c’est très compliqué à gérer pour les hommes. Je m’en rends compte avec les nombreux messages très contradictoires qui arrivent sur le blog. Il faut être des vrais mecs, mais en même temps il faut aussi être doux. Il faut être métrosexuel mais pas trop. Pour l’instant, seules les femmes avaient dû surmonter leur schizophrénie : être belle mais pas trop, être intelligente mais pas trop, gagner de l’argent mais pas trop. Et maintenant on demande les mêmes choses absurdes aux hommes : être tout et son contraire. Certains le vivent très bien et parviennent à en jouer, mais d’autres ont l’impression d’être la cinquième roue du carrosse de la sexualité et de la séduction. Ils se demandent vraiment ce que veulent les femmes. Mais ce n’est pas tant ce que nous, femmes, voulons que ce que veulent le marketing et la pub. Les modèles hollywoodiens, romantiques, super viriles sont dépassés : on n’a plus besoin de muscle et de force ! C’est passionnant d’arriver après les grandes luttes féministes. J’ai l’impression qu’on a une occasion presque unique de pouvoir rebattre les cartes, pas seulement politiquement mais aussi dans le sexe et la séduction.

Cette schizophrénie est dépassée pour les femmes ?

Nous avons un temps d’avance puisqu’on a compris depuis longtemps qu’il fallait se poser la question du genre et de comment jouer avec. Alors que les hommes viennent seulement de le comprendre.

Vous parliez du nouveau pouvoir des femmes. Croyez-vous qu’elles en abusent sur les hommes ?

Je ne crois pas que les femmes oppressent les hommes. Mais ce sont eux, entre eux, qui ne s’épargnent rien. Dès qu’ils font un pas de côté, on entend tout de suite les accusations d’homosexualité, « accusations » dans leur bouche bien sûr. Les filles ont vraiment l’habitude de jouer avec le genre. Un jour, on sort en mini-jupe talon aiguilles et le lendemain on sort en treillis. On a un champ de liberté énorme dans la manière dont on interprète notre humeur et notre genre au quotidien, alors que les hommes, pas du tout ! Un pas de côté, un millimètre hors des sentiers battus et les autres donnent immédiatement leur avis. De manière très agressive ou avec la petite vanne de trop, comme un rappel à l’ordre.

Maïa Mazaurette | Photo Fluide.G

Comprend-on la société en interprétant nos comportements sexuels ?

Certaines choses sont très révélatrices : le fait de toujours parler de sexe mais finalement de ne pas faire grand chose. Le sexe est omniprésent : la pub l’utilise comme un outil majeur de promotion, les artistes en parlent tout le temps, les magazines titrent toujours dessus mais quand on regarde ce qu’est la sexualité des Français, on apprend qu’on fait l’amour comme nos parents ! Le décalage est complet entre ce qu’on dit sur le sexe et ce que les gens font. Il existe un réel intérêt sur toutes les possibilités qu’offrent le sexe. Celui-ci nous intéresse à un niveau cérébral mais on a la flemme de le pratiquer !
Par exemple, avec Arthur, pendant les dédicaces organisées pour Péchés Mignons, on a voulu créer un rituel : demander aux lecteurs d’écrire un de leur fantasme dans un cahier. C’est terrifiant parce que la plupart des gens ne veut pas répondre ou explique ne pas avoir de fantasme. Et ceux qui ont accepté n’ont écrit que des trucs de magazines féminins. En tête : faire l’amour dans la nature et le plan à trois. On pourrait croire que les lecteurs de Péchés Mignons ont des désirs affirmés ou qu’ils les auraient au moins identifiés. Mais pas du tout !

N’est-ce pas plutôt de la pudeur ?

Non, je ne crois pas. Je crois vraiment que le sexe n’intéresse pas les gens à ce point. Ils ne sont pas pudiques. Le vrai enjeu est de réussir à trouver l’amour. La plupart des gens n’ont aucune curiosité des pratiques et des différentes cultures sexuelles. Mais c’est aussi rassurant de voir qu’ils ne sont pas dupes de ce grand cirque où on impose le sexe partout !

La couverture de Péchés Mignons, tome 4. | Photo Fluide.G

Vous vous revendiquez féministe. Qu’est-ce qu’une féministe aujourd’hui ?

Il existe deux féminismes complètement opposés. Soit le féminisme old school où les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus. Ce féminisme prône l’égalité des droits mais confirment les très grosses différences entre les sexes. Et de l’autre côté existe le féminisme à la Simone de Beauvoir, plus moderne et davantage soutenu par les spécialistes. Il s’agit avant tout de question d’éducation et c’est à partir de ces questions d’éducation qu’on doit élaborer les politiques. Tout ceci a évolué vers une remise en question complète des genres, voire des sexes et abouti au féminisme prosexe qui est le mien et celui de la plupart des gens qui travaillent dans le sexe. Le féminisme prosexe abolit toutes les catégories d’ordre sexuel et prône une attitude très positive envers le sexe.
Par exemple, on arrive à la période de Noël. On dit à la petite fille d’être une princesse et au petit garçon d’être mécanicien : c’est nul. Je ne comprends même pas comment c’est encore possible aujourd’hui ! Et quand on soutien la théorie « les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus », on n’a aucune raison de lutter contre ça ! Mais ce féminisme, je ne le condamne pas. L’essentiel est de vouloir le bien des femmes. Mais cette place de la mère, cette place du père, tout ça est dépassé, ça me fait hurler !

Péchés Mignons | Photo Fluide.G

Comment est-ce possible d’aller jusqu’à remettre les sexes en question ?

Le « on ne naît pas femme, on le devient » de Simone de Beauvoir devient « on ne naît pas homme, on le devient ». A partir de ça, on tend vers un nouveau champ de recherche. On ne naît pas hétéro, on le devient. On ne naît pas homo, on le devient. La façon dont on se comporte est culturelle mais aujourd’hui, on va jusqu’à dire que définir le sexe à la naissance est déjà trop. Je trouve ça très intéressant et passionnant qu’on se pose la question, que le packaging binaire, homme/femme, hétéro/homo soit en train de craquer dans tous les sens. C’est passionnant et ça fait du bien de participer à tout ça.

Concrètement, quel pourrait-être le combat d’une féministe aujourd’hui ?

J’ai participé à une campagne lancée aujourd’hui par le collectif Osez le féminisme : « Viol, la honte doit changer de camp« . Il y avait longtemps que je n’avais pas participé à une action, mais je fais du féminisme tous les jours sur mon blog. Là, la cause m’a vraiment motivée. Beaucoup de femmes refusent de parler de viol parce qu’elles ont honte de s’être fait violer mais il est temps d’axer la prévention non sur les victimes mais sur les bourreaux et que ce soient les violeurs qui aient honte et non les violées. Quand on parle de prévention, on explique : vous les femmes, ne sortez pas le soir, n’acceptez pas de verre d’un inconnu. Mais il faut aussi dire aux hommes : ne violez pas une femme ! Si elle vient dormir chez vous, ce n’est pas pour ça qu’elle est d’accord. Si elle est ivre morte, ça ne veut pas dire qu’elle est d’accord !

Péchés Mignons, tome 4. | Photo Fluide.G

Comment jugez-vous la façon dont on parle de sexe dans les magazines ?

Généralement, je suis assez terrifiée. D’abord par le décalage qui existe entre les couvertures et ce qu’il y a à l’intérieur. Les titres sont très racoleurs et les contenus très soft. C’est une arnaque ! Et les magazines jouent sur deux piliers que je considère comme réac. Premièrement, les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus. Et deuxièmement, le couple et le partenaire sont perçus comme l’horizon indépassable de la sexualité. Tout est excusé par l’amour mais le sexe n’a pas besoin d’excuse ! Les magazines sont souvent moralisateurs. Les filles qui ont une sexualité hors des sentiers battus se voient toujours flanquées de l’avis de psy pour rattraper le coup ! Les filles qui font autre chose, j’aimerais qu’elles ne soient plus perçues comme des irresponsables, des pétasses incapables de tomber amoureuses. Sous couvert de parler de tout, les magazines véhiculent une image Disney : un homme et une femme doivent s’aimer toute la vie et avoir des enfants pour vivre heureux. Ce n’est pas un mauvais système, j’aimerais seulement voir autre chose.

Péchés Mignons, Tome 4, Arthur de Pins et Maïa Mazaurette, Fluide Glacial, octobre 2010.