Le roman-photo… gay et moderne

Le roman-photo… gay et moderne

Le roman-photo… gay et moderne

Le roman-photo… gay et moderne

28 juin 2011

Ringard, dépassé ou hors du temps le roman-photo ? Le format fait immédiatement penser aux aventures amoureuses et passionnées, imprimées sur les fines pages de Nous Deux. Avec Sugar stories, une série racontant la vie quotidienne de jeunes parisiens gays, le genre se trouve modernisé. Fini le magazine papier, place à la publication en ligne. Entretien avec le photographe et concepteur de la série.


Alors que l’Europe entière souffrait d’une sale gueule de bois, au sortir de la guerre, les Italiens ont inventé un baume pour les bleus à l’âme : le roman-photo. Le premier est publié en 1947, dans la revue il Mio Sogno. En vedette, Diana Lors, aka Gina Lollobrigida. Deux ans plus tard, il débarque en France, dans les pages du magazine Festival, suivent les romans-photos de Nous Deux en 1950 et de Confidences en 1955.
Héritier du ciné-roman, à la mode dans les années 30, et annoncé par l’avènement du roman dessiné, le roman-photo s’étale dans les pages d’une presse féminine, dite de « la presse du cœur ». Avec ces histoires, qui misent sur le réalisme de l’image, les lectrices s’évadent d’un quotidien peu enthousiasmant.

En France, le magazine Nous Deux, créé en 1947, devient la drogue des jeunes filles sentimentales et émotives lorsque le roman dessiné est remplacé progressivement par le roman-photo dans les années 50. Les joues empourprées, les yeux brillants, l’imaginaire galopant, elles découvraient chaque semaine les aventures torturées et tortueuses d’un couple amoureux à qui rien ne réussit. Complications familiales, belle-mère acariâtre, les deux tourtereaux se heurtent sans cesse à cet amour impossible.

Dans les années 60, le roman-photo a définitivement supplanté le roman dessiné. Nous Deux est tiré à plus d’un million d’exemplaires au milieu des années 50, l’âge d’or du genre.
Les bluettes des romans-photos, femmes soumises et hommes protecteurs, finissent par fatiguer les jeunes femmes modernes dans les années 80. Le roman-photo est ringardisé et la presse du cœur devient la risée de la presse féminine. Une pensée pour l’inoubliable sketch des Nuls, Roman Photo. Fluide Glacial, avec Bruno Léandri, a habilement détourné le genre « tartignole » des jeunes pucelles pour en faire des perles de drôleries, complètement décalées.

Avec Sugar stories, on renoue avec le roman-photo qui narre les tracas, joies et déceptions de ses héros, Tony, Didier, Jérémie ou Kimo. Mais on le retrouve modernisé et remis au goût du jour. Particularité de ce groupe de jeunes parisiens ? Ils sont gays.
Une série sans prétention qui réunit désormais près de 2 000 visiteurs par épisode – un nouvel épisode paraissant chaque jeudi à 17 heures. Lancé en décembre, ce roman-photo – non militant – se termine le 14 juillet, après vingt-et-un épisodes. Entretien avec Jan C., l’un de ses créateurs, également photographe.

 

Quelle idée originale de créer un roman-photo en 2011…

L’idée de départ, c’était de faire un roman-photo mais pas dans les standards du roman-photo classique. On a tous en mémoire ces romans-photos à l’eau de rose, imprimés sur un papier de mauvaise qualité avec des images qui tirent sur le violet ou en noir et blanc un peu crasseux. Sur la forme, on s’est dit que ça pouvait être sympa d’en refaire un avec des photos de qualité.
Et puis le roman-photo, c’est un format très pratique, plus simple à faire qu’une vidéo. Le montage peut se faire en seulement quelques heures. Cet aspect était très important.

Comment peut-on avoir l’idée de faire un roman-photo à l’heure d’internet ?

Je suis photographe et j’avais le rêve secret de raconter une histoire sous la forme de séries de photos, avec un petit scénario. Finalement, le roman-photo est une bonne façon de le faire, de manière un peu décalée : on peut transmettre un message, ce qui n’est pas forcément évident avec une seule photo. Au départ, il y a vraiment un projet photographique. C’est davantage de la photo qu’un roman et finalement, c’est très bien. Nous n’avons pas eu l’ambition de faire de la grande littérature.

L’idée de départ était-elle de parler d’une thématique gay ?

Non, pas forcément. L’idée de faire un roman-photo, c’est moi, c’est ça le point de départ. Cette idée s’est cristallisée à partir du moment où on l’a relié à la problématique gay. Damian, l’autre concepteur, tient un blog « trendy gay urbain », et avait envie d’aller plus loin, de parler de nombreux sujets. Pas uniquement de l’homosexualité, pas en parler de façon « bourrin ». Le but est de raconter de petites histoires qui arrivent à des amis qui sont gays. Mais il n’y a pas que ça qui les caractérise. Ensuite, Kévin, le troisième créateur, a fini par nous convaincre de faire un véritable roman-photo, avec une vraie saison.

Aviez-vous des thèmes que vous souhaitiez

absolument

traiter ?

On a d’abord essayé de mentionner des thèmes que nous pensions être intéressants pour les lecteurs, pour leur faire plaisir, mais aussi des thèmes qui permettraient de susciter le débat. Evoquer des sujets comme la violence, la drogue, l’homophobie, le racisme, la prévention et la lutte contre le sida de manière indirecte (et non pas dire, « le Sida c’est méchant, protégez-vous ») pour dire que ça peut changer durablement votre vie et aussi celle de votre entourage. Il s’agit de parler de thèmes plus graves qu’untel couche avec untel. Même s’il y a aussi des choses plus banales. Pouvoir distiller, à droite et à gauche, des messages intéressants et ouvrir des débats, au départ, c’est ça l’idée.

Aviez-vous l’intention de faire une série engagée ?

Dès le premier jour, sur notre site, nous avons expliqué que nous ne voulions pas faire une série militante. Ce n’est pas une série engagée au sens, « un message militant à faire passer ». Par contre, ce qui est un peu engagé, c’est le fait de militer pour la banalisation, pour l’indifférence, en écrivant des histoires qui arrivent à des personnes certes noires, gays, jeunes. Avec l’idée de montrer que, malgré ces catégories, ce qui leur arrive est assez simple, et que ça peut arriver à tout le monde. Des fans nous écrivent en nous disant qu’ils ont déjà vécu des histoires où se mêlent jalousie, infidélité, amour, tricherie, etc. On peut tous le vivre : les bisexuels, les hétéro, les blancs.
Donc on est engagé, mais on ne veut pas l’être de façon explicite : il s’agit de dire qu’en réalité, le fait d’être homo peut apporter des problèmes, structurer et façonner une vie d’une certaine manière et pas forcément volontairement. Mais ces histoires-là peuvent arriver à n’importe qui. S’il y a un message, c’est peut-être celui-là. D’ailleurs, le nom Sugar stories renvoie à cette idée : comment peut-on mettre un peu de sucre dans son café, amer, parce que la vie peut l’être parfois. Rétrospectivement, je me dis qu’on est engagé dans la lutte pour l’indifférence.

Avez-vous des thèmes dont vous vous interdisez de parler, de mettre en scène ?

Non. Il a fallu, au départ, définir une ligne éditoriale. On s’adresse à un public adulte donc on n’a pas peur des scènes dénudées, mais on s’est dit depuis le début qu’on n’allait pas en faire trop non plus. Certains nous disent qu’il n’y en a pas assez, d’autres trop. C’est une question d’équilibre. La plupart de nos fans, ceux qui s’expriment sur les réseaux sociaux, sont plutôt contents du résultat.

Les photos sont très soignées dans la version finale de l’épisode. Vous accordez beaucoup d’importance à l’esthétique, aux décors…

C’est très important pour nous. Même les personnes qui n’ont pas aimé nous disent, « au moins, c’est joli ». C’est assez surprenant car il n’y a pas vraiment de ligne directrice en ce qui concerne les repérages. Il n’y a pas quelqu’un qui réfléchit exclusivement aux décors. Je fais moi-même des repérages pour essayer de trouver des endroits avant de tourner une scène. Par contre, nous travaillons les éclairages et la photo en général (les plans, les mouvements de caméra) de façon très minutieuse et très professionnelle. Dès qu’on peut, on essaie de faire des photos comme en studio, avec des scènes bien éclairées.
Quant aux costumes, chacun met ce qu’il veut, en général, c’est ce qu’il met dans la vie de tous les jours. En dehors des consignes pour les raccords, il n’y a rien d’imposé.

Etes-vous tous bénévoles dans ce projet ?

Oui, nous travaillons tous à côté, ce n’est pas notre activité principale. Nous sommes tous bénévoles, et amateurs, sauf Mike Fédée (qui joue le rôle de Jérémie), comédien professionnel et auteur, mais qui n’est pas rémunéré pour Sugar stories. Il faut donc composer avec les obligations et impératifs de chacun. Ça demande une bonne organisation puisqu’il y a des professions et profils très variés : steward, prof, étudiant, etc.
C’est un projet simple et modeste avec des personnes très impliquées, dévouées de façon surprenante puisqu’elles n’en retirent aucun bénéfice financier. La série doit son succès, ou en tout cas sa réussite, à ses acteurs, à l’équipe. Une équipe d’une dizaine de personnes au total, sans compter les figurants.

Il y a peu de femmes présentes dans la série. Pourquoi ?

Ce n’est pas par volonté d’exclusion. C’est un peu involontaire et assez innocent. Nous n’avons absolument aucun problème avec les femmes. C’est davantage par manque de compétences dans le domaine féminin… Au départ, nous avons fait le choix d’écrire des histoires à partir de choses qu’on connaissait bien, surtout pour des acteurs hommes. Et petit à petit, on s’est dit « oui, c’est vrai que ça manque de femmes ».
C’est un roman-photo gay et nous, nous avons interprété « gay » comme homme. C’est un peu dommage. On nous a fait cette remarque à plusieurs reprises. Je la trouve légitime et intéressante. Nous avons rectifié un peu le tir. A partir de l’épisode 13, on introduit un élément féminin, Helena, assez subversif dans le déroulement de l’histoire. Un personnage qui est devenu récurrent.

La fin de la saison approche. Sans parler de bilan, avec le recul, quel regard portez-vous sur Sugar stories ?
La modestie à l’origine de la naissance du roman-photo se traduit peut-être par des histoires un peu trop banales à certains moments. C’est une autocritique que je m’adresse. Nous ne sommes pas des humoristes, ni des pros des scénarios. S’il fallait l’adapter pour en faire une série à la télévision, il faudrait ajouter un peu de piquant, et deux ou trois blagues. On essaie d’être drôles mais on n’y arrive pas tout le temps dans l’épisode monté. En tout cas, nous, on se marre en le faisant.

Avez-vous l’idée de diversifier le roman-photo, d’en faire un livre par exemple ?

Ce que j’aimerai bien faire, c’est sortir les vingt-et-un épisodes sous forme d’un fascicule papier, un livre ou une bande dessinée. Au niveau du format, ça serait tout à fait envisageable, comme une BD pour adulte, le nombre de pages correspond.
Le deuxième projet, c’est la traduction de la série en espagnol, pour être connu ailleurs qu’en France. Sachant que parmi nos lecteurs, les 3/4 sont Français, et parmi les lecteurs étrangers, 2/3 sont Américains. Le monde hispanique est absent, c’est un point que l’on veut améliorer.

Y aura-t-il une saison 2 ?

Ce n’est pas encore complètement tranché. C’est très probable, mais nous sommes toujours en réflexion. S’il y en a une, ce sera à partir de septembre. Avec peut-être une saison plus courte, ou même avec deux saisons pour une année scolaire. S’il y a une deuxième saison, nous ne savons pas non plus si nous referons exactement la même chose, sur le même principe, en profitant de l’effet boule de neige et du lien créé avec nos fans. Ou partir sur quelque chose de très différent, avec un nouveau casting ? La question est posée. Les deux mois de vacances estivales seront mis à profit pour décider de ce qu’on fait.
Nous avons également un projet de mini spin-off (série dérivée, NDLR) pour cet été. L’idée est de tourner un ou deux épisodes qui seront en dehors de la ligne de l’histoire de Sugar stories, avec un ou deux acteurs de la série. Le but étant de ne pas sombrer dans l’oubli cet été.